Un processus de gel des avoirs russes affaibli par des sociétés écrans ? C’est un en effet le problème que met en lumière la nouvelle évaluation supranationale des risques. Ce rapport, qui dresse un inventaire des secteurs exposés au risque de blanchiment d’argent sale et financement du terrorisme, souligne la difficulté de détecter les avoirs contrôlés par des oligarques russes en tant que bénéficiaires effectifs, ces avoirs étant souvent dissimulés par des montages juridiques complexes faisant intervenir plusieurs pays.
Un tel rapport souligne d’autres vulnérabilités au risque criminel, notamment les fonds d’investissement, l’immobilier, les jeux d’argent, le sport professionnel et les zones de libre-échange, en particulier les ports francs de luxe.
Il intervient au moment où la Cour de Justice invalide partiellement la 4e directive antiblanchiment imposant à divulguer des informations sur la situation d’un bénéficiaire effectif.
De quoi parle-t-on ?
Le Groupe d’action financière (GAFI) recommande que les pays procèdent à des évaluations des risques dans chaque secteur soumis à des exigences en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LBC/FT).
La directive (UE) du 20 mai 2015 (quatrième directive anti-blanchiment), telle que modifiée par la directive du 30 mai 2018 (cinquième directive anti-blanchiment) organise au niveau de l’Union cette approche supranationale de la détection des risques. La quatrième directive anti-blanchiment charge la Commission de réaliser une évaluation des risques spécifiques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme pesant sur le marché intérieur et liés à des activités transfrontières.
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D’où vient-on et où va-t-on ?
La Commission a publié sa première évaluation supranationale des risques en 2017 et la deuxième en 2019.
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Comme pour les précédents rapports, cette troisième édition analyse les risques de BC/FT existants et propose une action globale pour y faire face. Elle évalue également la mesure dans laquelle les recommandations de mesures d’atténuation formulées par la Commission dans le rapport de 2019 ont été mises en œuvre, ainsi que les risques qui subsistent.
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La Commission présentera un nouveau rapport, en principe d’ici 2024, à la lumière des modifications éventuellement apportées à l’actuel cadre réglementaire de l’UE. Ce nouveau rapport évaluera aussi la façon dont les mesures prises à l’échelon européen et national influencent les niveaux de risque.
Gérer les conséquences de la pandémie de COVID-19
Les gouvernements du monde entier ont mis en place différentes mesures afin de faire face à cette pandémie. Ces mesures comprennent notamment des fonds de relance. Les criminels ont également profité des programmes d’aide publique.
Les nouvelles circonstances ont accru le risque de blanchiment de capitaux dans de nombreux secteurs économiques et dans de nombreuses activités commerciales. Il est possible de citer notamment comme risques:
- le détournement et fraude aux fonds octroyés à titre de mesures financières visant à protéger les économies nationales des conséquences de la pandémie, ou aux autres fonds publics octroyés dans le contexte de la pandémie;
- le rachat d’entreprises subissant des difficultés financières par des acteurs mal intentionnés et des organisations criminelles;
- les possibilités accrues pour les groupes criminels de tirer des revenus de la vente de dispositifs médicaux non autorisés et de produits pharmaceutiques et vaccins illégaux, y compris aux gouvernements;
- les cybercrimes commis en profitant du volume accru d’achats en ligne, y compris en utilisant des identités frauduleuses;
- la corruption de fonctionnaires lors de l’adoption de mesures urgentes, par exemple la commande de fournitures médicales spécifiques ou la simplification des règles de passation de marchés décidée dans ce contexte .
La guerre en Ukraine : les sociétés-écrans des oligarques russes
Selon une étude récemment réalisée au moyen de l’outil DATACROS financé par le volet «police» du Fonds pour la sécurité intérieure , l’Europe compte près de 31 000 sociétés ayant des bénéficiaires effectifs russes (essentiellement dans les secteurs de l’immobilier, de la construction, de l’hôtellerie ainsi que dans le secteur financier et de l’énergie). 1 400 d’entre elles ont des parts (jusqu’à 5 %) détenues par 33 personnes visées par les récentes sanctions, les oligarques. Certains d’entre eux peuvent dissimuler leur détention ou leur contrôle de sociétés en utilisant des sociétés intermédiaires enregistrées dans des pays tiers à l’UE ou des actionnaires prête-noms locaux.
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De fait, plusieurs de ces sociétés affichaient déjà des indicateurs de risque élevés avant l’adoption des sanctions: complexité d’entreprise injustifiée, utilisation de constructions juridiques opaques ou connexions avec des juridictions à risque élevé.
Or, la mise en œuvre adéquate des mesures restrictives de gel des avoirs adoptées par l’UE nécessite:
- l’application effective des règles relatives aux bénéficiaires effectifs (à savoir la transparence des registres de commerce et des domaines d’entreprises),
- le développement plus poussé des interconnexions entre les différents registres (registres des bénéficiaires effectifs, registres de commerce/d’entreprises, registres fonciers),
- la fluidification de la coopération et des échanges d’informations entre les agences,
- la détection et la surveillance adéquates des avoirs dissimulés aux autorités fiscales.
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Les mesures d’atténuation de l’Union en voie d’élaboration
Le 20 juillet 2021, la Commission a présenté un train de mesures composé de quatre propositions législatives notamment un règlement établissant une nouvelle autorité de l’UE pour la LBC/FT (le «règlement ALBC»).
Elle poursuit ses travaux concernant:
- l’amélioration de la collecte de données statistiques. Depuis janvier 2020, la Commission est tenue, conformément à la directive antiblanchiment, de réunir des statistiques nationales et d’établir des rapports les concernant sur les questions relatives à l’efficacité des systèmes mis en place par les États membres pour lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ;
- la formation destinée aux professionnels exerçant des activités soumises au principe du «secret professionnel». La Commission fournit des lignes directrices et des informations pratiques à ces professionnels. Un projet de formation destinée aux avocats et financé par l’UE a été mis en œuvre entre 2020 et 2022 ;
- la sensibilisation du public aux risques de blanchiment de capitaux/de financement du terrorisme;
- la surveillance complémentaire des activités de faux-monnayage et de leurs liens éventuels avec le blanchiment de capitaux. Le programme Pericles IV finance des échanges de personnel, des séminaires, des formations et des études pour les services répressifs et les autorités judiciaires, les banques et les autres acteurs de la lutte contre le faux-monnayage de l’euro.
Les mesures d’atténuation de l’Union à prendre à l’avenir
La Commission considère qu’une série de mesures d’atténuation supplémentaires devrait être prise à l’échelle de l’Union et des États membres, en tenant compte:
- des niveaux de risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme;
- de la nécessité de prendre des mesures à l’échelon européen ou de recommander aux États membres de prendre des mesures (principe de subsidiarité);
- de la nécessité de mettre en place des mesures réglementaires et non réglementaires (principe de proportionnalité); et
- des répercussions sur le droit au respect de la vie privée et les droits fondamentaux.
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43 produits et services passés au crible par l’évaluation supranationale des risques
Dans cette troisième édition de l’évaluation supranationale des risques, la Commission analyse les risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme que 43 produits et services, regroupés en huit catégories, sont susceptibles de représenter pour le marché intérieur de l’UE. Ces 43 produits et activités avaient déjà été évalués dans la deuxième édition de l’évaluation supranationale des risques (2019).
Tous ces produits et activités ont été réexaminés à la lumière du cadre européen de LBC/FT révisé et des effets de la pandémie de COVID-19 ainsi que des sanctions adoptées à l’encontre de la Russie et de la Biélorussie.
Les espèces toujours prisées par les criminels
Bien que le nombre d’opérations de détail en espèces ait diminué, la demande de billets de banque en euros semble avoir augmenté, une tendance désignée par le terme de «paradoxe des billets de banque», qui montre que les espèces restent une réserve de valeur populaire, même à la suite de la pandémie de COVID-19.
Malgré le visage changeant de la criminalité, l’économie criminelle reste très fortement basée sur les espèces, ce qui expose l’UE à d’importants risques en matière de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme, en raison de l’anonymat et de la liberté relative de mouvement associés aux espèces et aux avoirs assimilés.
Le taux de signalement est très faible, ce qui peut s’expliquer par la difficulté de détecter les transactions en espèces. L’émergence de distributeurs automatiques de billets détenus par des entités privées accroît les possibilités pour les organisations criminelles d’introduire leurs produits dans le système financier sans être repérées.
Un engouement persistant des criminels pour les montages juridiques opaques et les biens de grande valeur
Les criminels peuvent élaborer des structures complexes, impliquant des sociétés et des entités juridiques, pour brouiller les pistes d’audit financier. Ces structures supposent souvent le recours à des sociétés fictives ou écrans. Or actuellement, le rapport note qu’un manque de coopération et de partage d’informations entre les autorités de différents territoires engendre des points faibles qui peuvent aisément être exploités par les criminels recherchant des territoires sur lesquels les contrôles visant à lutter contre le blanchiment de capitaux sont moins efficaces.
Quant aux biens de grande valeur, notamment les œuvres d’art, les antiquités et les pierres et métaux précieux, ils sont des marchandises qui permettent de transférer des fonds. Pour les criminels, cela signifie la possibilité de convertir leurs produits illicites en actifs de grande valeur pouvant être transportés par-delà les frontières et stockés de manière relativement aisée et en passant par peu de contrôles réglementaires.
Les liens entre le commerce d’antiquités, le trafic de drogue, d’espèces sauvages et d’armes, le blanchiment de capitaux et la criminalité fiscale et le financement de machines de guerre et d’organisations terroristes ont été largement relatés, ce qui met le trafic d’antiquités sur le même plan que les formes graves de criminalité organisée transnationale.
Les fonds d’investissement exposés au crime
La plupart des menaces et des vulnérabilités recensées ont déjà été soulignées dans les précédentes évaluations supranationales des risques et demeurent d’actualité. Au sein du secteur financier, l’absence de règles claires et cohérentes, la surveillance inégale en matière de LBC/FT dans le marché intérieur et le manque de coordination et d'échange d’informations entre les cellules de renseignement financier (CRF) continuent de nuire à la capacité de l’UE à répondre de manière adéquate aux risques de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme. En outre, les autorités compétentes en matière de LBC/FT dans les États membres semblent souvent éprouver des difficultés pour surveiller le secteur en adoptant une approche fondée sur les risques.
En outre, les caractéristiques et la nature des fonds d’investissement rendent ceux-ci vulnérables au blanchiment des produits de la fraude, de la criminalité fiscale, de la corruption et des pots-de-vin. Ce risque est encore exacerbé par l’exposition du secteur à des clients à haut risque, ainsi que par le volume élevé, la complexité et le caractère transfrontière des opérations. Dans un secteur qui gère des montants considérables, la transparence quant aux bénéficiaires effectifs reste insuffisante.
Les prestataires de services exposés également au risque d’infiltration criminelle
Les sociétés prestataires de services sont toujours exposées au risque d’être infiltrées ou détenues par des groupes criminels organisés afin de blanchir des produits illicites. Les auteurs de tels actes peuvent profiter de leurs services de conseil et de leur expertise en matière de création et de gestion de structures, ainsi que de leur capacité à fournir des documents et des garanties en rapport avec les activités commerciales.
Or, les disparités relevées entre les États membres en ce qui concerne l’application de la surveillance fondée sur les risques dans certains secteurs, surtout lorsque cette surveillance est assurée par des organismes d’autorégulation, nuisent à l’efficacité de la prévention et à la capacité de détecter les abus. Le faible nombre de déclarations de transactions ou d’activités suspectes soumises par la plupart des entreprises et professions non financières désignées dans les États membres indique que les soupçons d’abus ne font pas l’objet de détections et de déclarations efficaces.
L’immobilier et les jeux d’argent, toujours des secteurs à risque
Selon le rapport, le secteur de l’immobilier est considérablement exposé aux risques de blanchiment de capitaux, et notamment à la criminalité fiscale. Selon une étude de la Commission, on estime à 1 400 milliards d’euros les fonds détenus par des résidents de l’UE dans des propriétés immobilières extraterritoriales. Des méthodes de financement complexes, le recours à l’intermédiation et l’utilisation de sociétés-écrans compliquent l’identification des bénéficiaires effectifs.
Pour ce qui est du secteur des jeux d’argent et de hasard, il est caractérisé par une croissance économique et un développement technologique rapides, avec une croissance marquée du secteur en ligne enregistrée pendant et après la pandémie de COVID-19. À cet égard, plusieurs autorités compétentes ont indiqué que les risques présentés par les jeux en ligne s’étaient encore accrus depuis la publication de la dernière évaluation supranationale des risques en 2019.
Pour la première fois, l’évaluation considère les jetons échangeables utilisés dans les jeux vidéo comme étant assimilés aux crypto-actifs. Les menaces qui leur sont associées devraient donc être évaluées de la même manière que les crypto-actifs.
Le sport professionnel, un secteur aussi particulièrement exposé au risque criminel
La pandémie de COVID-19 a eu un effet dévastateur sur les finances des clubs, ce qui a généré certaines tendances qui vont en s’accentuant et qui pourraient accroître les risques auxquels le secteur est confronté. Le manque de ressources et de formation fait que ce secteur est toujours exposé aux risques de blanchiment de capitaux et, dans une bien moindre mesure, de financement du terrorisme. Le cadre juridique régissant le secteur a lui-même intensifié les contrôles réalisés; toutefois, ce cadre est insuffisant à lui seul.
Les zones de libre-échange dans le viseur, notamment les ports francs de luxe
Les zones de libre-échange restent considérées comme présentant des risques élevés de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme, étant donné qu’elles présentent un certain nombre d’avantages du point de vue fiscal et douanier.
Bien que les risques évalués soient valables pour toutes les zones franches et, dans une moindre mesure, les entrepôts douaniers, ils sont encore plus importants dans le cas de biens de grande valeur détenus dans les ports francs. Soulignant la croissance rapide du segment haut de gamme du marché de l’art et l’expansion physique des espaces de stockage de luxe, un document de recherche laisse entendre que les ports francs de luxe sont en train de s’établir en tant que nouveaux acteurs du système mondial de l’évasion et de la criminalité fiscales.
En outre, les zones de libre-échange continuent de présenter une menace en matière de contrefaçon: en effet, elles permettent aux faussaires de procéder à des envois terrestres, de modifier ou de manipuler les chargements ou de falsifier les documents qui s’y rapportent, puis de réexporter les produits sans l’intervention des douanes et dissimuler ainsi la nature et l’origine véritables des biens, ainsi que l’identité du fournisseur initial.
Les organismes à but non lucratif (OBNL) un secteur (un peu moins) à risque
L’hétérogénéité du secteur des OBNL et de ses sous-secteurs pose problème au moment d’évaluer les risques. La nature et l’ampleur des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme peuvent varier en fonction des sources de financement, des méthodes et canaux de versement ainsi que des bénéficiaires des fonds.
Ceci dit, selon le rapport, les OBNL sont aujourd’hui mieux conscients des risques auxquels ils sont exposés, et une augmentation des investissements dans les fonctions de conformité et d’audit a été constatée auprès des organismes établis depuis longtemps. Les États membres peuvent encore intensifier leurs activités de sensibilisation et de collaboration avec le secteur financier afin de faciliter l’accès des OBNL aux circuits réglementés.
synthèse du texte par Pierre Berthelet alias securiteinterieure.fr
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