Pages

mercredi 30 mars 2022

Ingérences russe et chinoise, le Parlement européen tire la sonnette d’alarme face à l’inaction de l'UE et ses Etats membres

 


Face aux puissances étrangères hostiles, l’Union européenne et ses États membres sont-ils un gruyère plein de trous?
Le constat dressé par le Parlement européen, dans une résolution approuvée ce mois-ci, est alarmiste. Les propagandes chinoises et surtout russes sont largement diffusées dans l’UE. Or, les dispositifs publics et privés de contrôle sont défaillants et mal coordonnés. 
Il y a pire : il constate que le manque criant de sensibilisation du grand public et les représentants des pouvoirs publics. Cette attitude ne fait qu’accroître la gravité des menaces actuelles que représente l’ingérence en créant de nouvelles vulnérabilités.
Quant aux plateformes en ligne, elles sont épinglées par les députés européens. Pour eux, les mesures actuelles destinées à endiguer les campagnes de désinformation ne sont ni efficaces ni dissuasives. C’est même tout l’inverse : leur quête de rentabilité les amène à promouvoir des contenus malveillants et contraires aux intérêts de l’UE et de ses Etats membres.



La Russie, principale puissance pointée d’ingérence

Selon le Parlement européen:

  • la Russie s’est livrée à une désinformation d’une ampleur et d’une malveillance sans précédent, tant dans les médias traditionnels que dans les plateformes de médias sociaux, afin de tromper ses propres citoyens et la communauté internationale concernant la guerre d’agression contre l’Ukraine;
  • des opérations d’ingérence financent des partis politiques extrémistes, populistes et anti-européens qui veulent aggraver la fragmentation de la société et nuire à la légitimité des autorités publiques nationales et européennes.
    La Russie cherche à établir des contacts avec les partis, personnalités et mouvements. Le Rassemblement national français et la Lega Nord italienne ont signé des accords de coopération avec le parti Russie unie du président Vladimir Poutin.
    D’autres partis européens, tels que l’Alternative für Deutschland (AfD) allemande, le Fidesz et le Jobbik hongrois, et le Brexit Party britannique auraient également des contacts étroits avec le Kremlin.

Les députés européens :
  • condamnent fermement les entreprises du Kremlin visant à instrumentaliser les minorités dans les États membres en mettant en application des politiques de «soutien des compatriotes», notamment dans les États baltes et les pays du voisinage oriental.
    Il s’agit de diviser les sociétés de l’Union, parallèlement à la mise en œuvre du concept de «monde russe», qui vise à justifier les actions expansionnistes du régime. A cet égard, un grand nombre de «fondations privées», d’«entreprises privées», d’«organisations médiatiques» et d’«ONG» russes sont soit détenues par l’État, soit ont des liens cachés avec l’État russe ;
  • sont préoccupés par les signalements d’ingérence étrangère dans les systèmes judiciaires européens. Il attire particulièrement l’attention sur l’exécution de jugements russes par des tribunaux européens contre des opposants au Kremlin.


Sur le podium, des immixtions surtout russes et chinoises

Selon le Parlement européen,

  • il est démontré que la Russie et la Chine utilisent la manipulation de l’information et d’autres tactiques relevant de l’ingérence pour s’immiscer dans les processus démocratiques de l’Union ;
  • ces deux pays et d’autres régimes autoritaires ont injecté plus de 300 millions de dollars américains dans 33 pays à des fins d’ingérence dans les processus démocratiques. Or, cette tendance s’accélère clairement et la moitié de ces affaires concernent des actions menées par la Russie en Europe;
  • les pays des Balkans occidentaux sont frappés par des attaques d’une intensité particulière, qui prennent la forme de campagnes de désinformation orchestrés par la Russi;
  • la Chine et la Russie ont exploité la pandémie de COVID-19 dans ces pays des Balkans occidentaux pour déstabiliser ces pays et discréditer l’Union.

En outre:

  • les instituts Confucius sont utilisés par la Chine comme outil d’ingérence dans l’Union;
  • des universités sont la cible de financements étrangers massifs, notamment en provenance de Chine, comme le campus de Budapest de l’université Fudan.
    En outre, ces instituts Confucius servent de plateforme de lobbying pour les intérêts économiques chinois ainsi que pour le service de renseignement chinois et le recrutement d’agents et d’espions;
  • l’incidence des cyberattaques et des incidents facilités par l’internet causés par des acteurs hostiles, étatiques ou non, a connu une hausse ces dernières années. Plusieurs cyberattaques, ont eu lieu telles que les campagnes mondiales d’hameçonnage ciblant les structures stratégiques de stockage des vaccins et les cyberattaques contre l’Agence européenne des médicaments et l’Autorité bancaire européenne.
    Elles été attribuées à des groupes de pirates informatiques soutenus par des États, principalement affiliés aux gouvernements russe et chinois.



Les grandes plateformes complices de l’ingérence

Le Parlement européen s’inquiète :

  • des 65 millions d’euros de recettes publicitaires qui alimentent en moyenne chaque année 1 400 sites web de désinformation ciblant les citoyens de l’Union.
    Or, ces publicités en ligne, parfois même d’institutions publiques, aboutissent sur des sites malveillants diffusant des discours de haine et de la désinformation.
    Elles donc financent ces sites sans le consentement des annonceurs concernés, voire à leur insu;
  • du fait que  les plateformes en ligne peuvent s’avérer des outils facilement accessibles et peu onéreux pour ceux qui se livrent à la manipulation de l’information et à d’autres formes d’ingérence, telles que la haine, le harcèlement, les atteintes à la santé, la réduction au silence des opposants, l’espionnage ou la diffusion de désinformation.
En outre, il:
  • note que certaines plateformes en ligne tirent un profit immense du système qui propage la division, l’extrémisme et la polarisation.
    Elles ont accéléré et amplifié la propagation de la mésinformation et de la désinformation d’une manière sans précédent.
    En outre, elles étaient conscientes des failles de leurs algorithmes, en particulier de leur rôle dans la diffusion de contenus polémiques. Or, elles n’y ont pas remédié afin de maximiser leurs profits, comme l’ont révélé des lanceurs d’alerte;
  • constate que les mesures prises contre la propagation de la COVID-19, notamment la vaccination dans l’ensemble de l’Union, se sont heurtées à des campagnes d’ingérence et de manipulation de l’information.
    Or, les plateformes en ligne n’ont pas réussi à coordonner leurs efforts pour endiguer ces phénomènes, voire ont peut-être contribué à leur diffusion.
    A ce propos, les «Facebook Papers» ont révélé que la plateforme avait été incapable de lutter contre la désinformation liée au vaccin;
  • ajoute que la création d’hypertrucages de documents sonores et audiovisuels («deepfakes») est devenue de plus en plus facile grâce à l’arrivée sur le marché de technologies peu chères et faciles à utiliser; considérant que la diffusion de ce type de documents est un problème qui prend des proportions gigantesques.
    Or, seuls 90 % des recherches actuelles sur les hypertrucages sont consacrés à leur création et seulement 10 % à leur détection.



Le recours aux médias et à la religion comme levier d’influence

Le Parlement européen,

  • est vivement préoccupé de la propagation de la propagande d’État étrangère, principalement en provenance de Moscou et de Pékin, ainsi que d’Ankara.
    Cette propagande est traduite dans les langues locales, par exemple dans des contenus médiatiques sponsorisés par RT, Sputnik, Anadolu, CCTV, Global Times, Xinhua, TRT World ;
  • note que les réseaux Sputnik et RT, contrôlés par l’État russe, basés en Occident, se livrent à des activités de désinformation contre les démocraties libérales.
    Or, la Russie fait preuve de révisionnisme historique et cherche à réécrire l’histoire des crimes soviétiques et à promouvoir la nostalgie de l’URSS auprès de la population d’Europe centrale et orientale réceptive à cette propagande;
  • note aussi que le Kremlin recourt largement à la culture, notamment à la musique populaire, aux contenus audiovisuels et à la littérature, dans le cadre de son écosystème de désinformation ;
  • fait observer que l’ingérence étrangère peut également se faire par une influence dans les instituts religieux, à l’image de l’influence russe dans les églises orthodoxes, en particulier en Serbie, au Monténégro, en Bosnie-Herzégovine, notamment dans sa République serbe, en Géorgie et, dans une certaine mesure, en Ukraine.
    Cette instrumentalisation a pour buts de semer la division parmi les populations locales, de réécrire l’histoire de façon biaisée et de promouvoir des mesures anti-Union ;
  • s’inquiète aussi de l’influence du gouvernement turc s’opère par l’intermédiaire de mosquées en France et en Allemagne.
    L’influence saoudienne exercée par le truchement de mosquées salafistes dans toute l’Europe, qui promeuvent un islam radical.


Face à l’ingérence, une Union européenne désemparée   

Selon les députés européens, l’Union et ses États membres semblent ne pas disposer des moyens appropriés et suffisants pour mieux prévenir et détecter ces menaces, lutter contre elles, déterminer leurs auteurs et les punir.
En outre, l’existence de ces problèmes semble globalement ignorée parmi les décideurs politiques et plus généralement dans la population, ce qui peut contribuer involontairement à créer d’autres vulnérabilités;

Les députés s’inquiètent du manque de mesures pour désigner les responsables d’actes d’ingérence étrangère et pour réagir à ces actes.
Ce qui se traduit par un calcul intéressant pour les acteurs malveillants, à savoir de faibles coûts, de faibles risques et un bénéfice élevé (le risque de représailles auquel ils sont exposés étant actuellement très faible).

En outre, le Parlement européen:

  • déplore le manque de moyens de répression pour empêcher les pratiques d’accaparement des élites. Il dénonce en particulier le recours à la technique de cooptation de fonctionnaires de haut niveau et d’anciens responsables politiques de l’Union utilisés par des entreprises étrangères.
    Or, ces entreprises entretiennent des relations avec des gouvernements qui se livrent activement à des actions d’ingérence contre l’Union.BS. déplore le fait que  la capacité actuelle à faire face aux cybermenaces est limitée en raison du manque de ressources humaines et financières, par exemple dans des structures critiques telles que les hôpitaux; 
  • s’inquiète de la fragmentation des capacités et des stratégies de l’Union dans le domaine cybernétique. Les lacunes dans ce secteur deviennent un problème croissant, comme l’a souligné la Cour des comptes européennes ;
  • indique que le Groupe d’États contre la corruption (GRECO) du Conseil de l’Europe et la Commission de Venise ont déjà formulé des recommandations pour réduire l’incidence d’une ingérence des acteurs étrangers au moyen du financement politique.
    Or, les lois électorales, en particulier les dispositions relatives au financement des activités politiques, ne sont pas suffisamment coordonnées au niveau de l’Union. Elles permettent donc des méthodes de financement opaques provenant d’acteurs étrangers.



L’éléphant dans la pièce : le (gros) problème de la régulation des plateformes


Le Parlement européen déplore:

  • le fait que  les systèmes d’autorégulation, tels que le code de bonnes pratiques contre la désinformation adopté en 2018, ne fonctionne pas : il n’est pas efficace et il n’a produit que peu de données pertinentes sur leur impact global.
    Il regrette la persistance de la nature autorégulatrice de ce code, étant donné que l’autorégulation est insuffisante lorsqu’il s’agit de protéger le public contre les tentatives d’ingérence et de manipulation ;
  • le fait que  les plateformes ont pris des mesures individuelles, à l’importance et aux effets variables, qui ont permis au contenu supprimé de continuer à se diffuser ailleurs, en passant par des portes dérobées;
  • le fait que  les mesures actuelles contre les campagnes de désinformation sur les plateformes en ligne ne sont ni efficaces ni dissuasives.
    Elles permettent aux plateformes de continuer à promouvoir des contenus discriminatoires et malveillants;
  • le manque de transparence en ce qui concerne les choix algorithmiques des plateformes rend impossible la vérification de leurs affirmations sur ce qu’elles font pour lutter contre l’ingérence et la manipulation de l’information.
    D’ailleurs, l’effet supposé de ces mesures, tel que l’annoncent les rapports annuels publiés par les plateformes, est éloigné de leur efficacité réelle, comme les «Facebook Papers» l’ont récemment démontré.



1e axe de réponse : endiguer plus efficacement la désinformation et la propagande d’Etat

Le Parlement européen :

  • se félicite de l’annonce faite par la présidente de la Commission le 27 février 2022 d’une interdiction, à l’échelle de l’Union, des chaînes de propagande russes telles que Sputnik TV, RT (anciennement «Russia Today»). Il demande que des mesures supplémentaires soient prises à cet égard;
  • préconise une réglementation et des mesures pour obliger les plateformes, en particulier celles qui présentent un risque systémique pour la société.
    Il préconise l’utilisation de labels qui indiquent les véritables auteurs cachés derrière les comptes,.
    Il souhaite que cette mesure permette de limiter la portée de comptes qui sont régulièrement utilisés pour diffuser de la désinformation ou qui enfreignent régulièrement les conditions générales de la plateforme
  • demande de prendre des mesures visant à supprimer les comptes non authentiques utilisés pour des campagnes d’ingérence coordonnées, en démonétisant les sites de diffusion de désinformation ;
  • réclame la mise en place des mesures d’atténuation pour les risques d’ingérence posés par les effets de leurs algorithmes, de leurs modèles publicitaires, et de leurs systèmes de recommandation et de leurs technologies d’intelligence artificielle;
  • demande que des règles de l’Union contraignantes obligent les plateformes à mettre en place des systèmes permettant de surveiller la manière dont leurs services sont utilisés. C’est le cas d’un suivi en temps réel des publications les plus en vue et les plus populaires pays par pays.



2e axe de réponse : contraindre les plateformes en ligne à l’engager réellement et sincèrement contre la désinformation

Le Parlement européen demande :

  • aux plateformes en ligne de :
    • prévoir des ressources suffisantes pour prévenir l’ingérence étrangère ;
    • fournir des rapports détaillés, pays par pays, sur les ressources consacrées à la vérification des faits et à la modération des contenus;
  • un étiquetage clair et lisible des trucages vidéo ultra-réalistes («deep fakes»);
  • que les algorithmes soient modifiés afin de cesser de mettre en avant des contenus provenant de comptes et de canaux non authentiques. Le Parlement européen : 
    • souligne la nécessité pour l’Union de mettre en place des mesures visant à obliger juridiquement les entreprises de médias sociaux à empêcher l’amplification de la désinformation une fois détectée;
    • insiste sur le fait que des sanctions doivent être infligées pour les plateformes qui ne respectent pas l’obligation de retirer les contenus de désinformation.


Par ailleurs, les députés européens:

  • insistent sur la nécessité d’une amélioration de la phase d’essai et d’un examen systématique des conséquences des algorithmes.
    Il s’agit de la manière dont ils façonnent le débat public et influent sur les résultats politiques ainsi que la manière dont les contenus sont hiérarchisés;
  • jugent inacceptable l’opacité totale pour le public des algorithmes qui distribuent les fonds publicitaires. Il demande à la Commission d’utiliser les outils de la politique de concurrence et du droit des ententes pour briser ce monopole;
  • soulignent que les annonceurs devraient avoir le droit de savoir. Ils ont le droit de décider où leurs publicités sont placées et par quel courtier leurs données sont traitées.
    Il demande la mise en place d’un processus de médiation permettant le remboursement des annonceurs lorsque des publicités sont publiées sur des sites web qui favorisent la désinformation.

 

synthèse du rapport par Pierre Berthelet alias securiteinterieure.fr





A lire  sur securiteinterieure.fr  : 

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

remarques et suggestions à formuler à securiteinterieure [à] securiteinterieure.fr

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.