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mercredi 28 février 2018

"La nouvelle Europe de la défense, c’est comme un camion de pompier, magnifique et performant, mais qui reste à la caserne"



C’est le constat sévère dressé par l’Assemblée nationale dans un très intéressant rapport d'information sur la nouvelle Europe de la défense voulue par le Président Macron. Sous l’impulsion de la France et de l’Allemagne, plusieurs initiatives majeures ont été lancées dans le cadre de cette Europe de la défense (PSDC).
De telles initiatives sont politiques, avec la création de la coopération structurée permanente notamment.
Elles sont industrielles, avec le projet de programme européen de développement de l’industrie de défense et le fonds européen de la Défense.

Concernant la Coopération structurée permanente ou, en anglais, la PESCO, il s’agit d’un formidable succès pour l’Union européenne, selon l’Assemblée nationale.
Toutefois, par les développements précédents, les auteurs du rapport attirent l’attention sur ses risques et limites.
Une des leçons à retenir est la métaphore du camion de pompier : l’Europe de la défense possèdera ses propres capacités. Ce sera comme un camion, superbe et doté des dernières technologies de lutte anti-incendie, mais qui restera à la caserne, car les pompiers n’arrivent pas à travailler de concert.

Le contexte de la relance de la PSDC : la dégradation de l’environnement sécuritaire

Alors qu’en 2003, on pouvait officiellement affirmer que « l'Europe n'a jamais été aussi prospère, aussi sûre, ni aussi libre », ce n’est plus le cas 10 ans plus tard. Force est de reconnaître que l’Union européenne est désormais entourée d’un véritable « arc de feu » menaçant, sinon sa prospérité, du moins sa sécurité et ses libertés (instabilité au Sahel et en Libye, crise en Syrie, migrations massives liées à la guerre notamment, et résurgence du terrorisme islamiste).

D’après l’Assemblée nationale, la Russie qui, par sa politique agressive, est un facteur d’insécurité aux frontières orientales de l’Europe (guerre au Donbass).
Cette agressivité, renforcée par des manœuvres militaires régulières aux frontières de l’UE et par des attaques hybrides (piratages informatiques, fake news…), nourrit les craintes des pays de l’Est.

L’origine de la PESCO : l’initiative franco-allemande d’un "Pacte européen de sécurité"

Le constat est que des menaces croissantes, affectant l’Europe toute entière, justifient la mise en œuvre effective d’une Défense européenne.
Cette observation a conduit la France et l’Allemagne, rapidement rejointes par l’Italie et l’Espagne, à relancer la PSDC à travers la proposition d’un « Pacte européen de sécurité », présenté le 23 août 2016.

Une telle proposition s’inscrit dans le prolongement de la Stratégie globale pour la politique étrangère et de sécurité, présentée par la Haute Représentante Federica Mogherini au Conseil européen des 28 et 29 juin 2016.
Elle entérine l'objectif d'autonomie stratégique souhaité par la France.
Axée sur le renforcement des capacités militaires de l’Union, elle préfigure les futures initiatives européennes en matière de Défense.

Ce « Pacte européen de sécurité », qui comporte aussi des propositions relatives à la sécurité intérieure, s’articule, en 3 axes :
  • une coopération européenne accrue en matière de Défense ;
  • le développement de nouvelles capacités de Défense ;
  • le renforcement du caractère opérationnel des capacités militaires dont l’Europe dispose actuellement.

Quelques jours avant la présentation du « Pacte européen de sécurité » a eu lieu le référendum sur le Brexit. Le choc qu’a constitué le choix du peuple britannique de quitter l’Union européenne, nouvelle crise s’ajoutant à de nombreuses autres, a obligé l’Union à réagir rapidement afin de donner un nouveau souffle à la construction européenne et de renforcer sa légitimité.
L’autre facteur est, bien sûr, l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, à la faveur d’un programme isolationniste.

Le discours sur l’état de l’Union, prononcé par le Président de la Commission européenne le 14 septembre 2016, est sans équivoque.
La Défense est désormais officiellement à l’ordre du jour de l’Union européenne et les initiatives prises les mois suivants s’inspirent des propositions du Pacte européen de sécurité.

Le contenu de la coopération structurée permanente (PESCO)

La Coopération structurée permanente est l’une des innovations majeures du traité de Lisbonne. Symbole des nouvelles ambitions de l’Union européenne en matière de Défense, la PESCO a été notifiée à la Haute Représentante le 13 novembre 217 – 2 ans jour pour jour après les attentats du Bataclan – et officiellement créée par décision du Conseil en date du 11 décembre.
Elle rassemble aujourd’hui 25 pays, soit la totalité des États membres à l’exception du Royaume-Uni, du Danemark et de Malte.

Après de longues négociations, les membres de la PESCO se sont accordés sur 17 projets :
  • 6 projets de facilités : commandement médical européen, logiciel de sécurisation des radiofréquences, hub logistique et soutien aux opérations, mobilité militaire, fonction énergie en opérations et système de commandement et contrôle des missions de la PSDC ;
  • 2 projets de formation : centre d’excellence pour les missions de formation de l'Union européenne et centre de certification des formateurs pour les armées européennes ;
  • 3 projets maritimes : drones sous-marins détecteurs et destructeurs de mines, système autonome de protection et surveillance des ports et mise à jour du système de surveillance maritime ;
  • 2 projets cyber : plateforme de partage d’informations sur la réponse aux attaques et menaces cyber et équipes de réaction rapide aux attaques cyber et assistance mutuelle dans la cybersécurité ;
  • 4 projets terrestres : soutien militaire d’urgence déployable en cas de catastrophe, véhicules blindés d'infanterie, soutien indirect au tir et noyau opérationnel pour la réponse de crise.

L’augmentation des financements pour renforcer la compétitivité de l’industrie européenne

L’ambition capacitaire portée par la PESCO est inséparable d’un renforcement de l’industrie européenne de Défense. Comme l’a à plusieurs reprises souligné la Commission, les dépenses des États membres dans le domaine militaire sont inefficaces en raison de leur dispersion et de la fermeture des marchés publics nationaux de Défense.

C’est pourquoi, la Commission a présenté, le 30 novembre 2016, un « Plan d’action pour la Défense européenne », avec 3 propositions majeures :
  • la création d’un Fonds européen de la Défense (FED) afin de soutenir les investissements dans la recherche et le développement conjoints d'équipements et de technologies de Défense. Ce Fonds comprendrait deux volets complémentaires :
    • un volet « recherche », destiné à financer la recherche collaborative dans les technologies de défense novatrices telles que l'électronique, les métamatériaux, les logiciels cryptés ou la robotique. Il sera doté de 500 millions d’euros par an à compter du nouveau cadre financier pluriannuel (CFP) 2021-2027 ;
    • un volet « capacités » d’1 milliard d’euros par an, qui servirait d'instrument permettant aux États membres d'acquérir certains biens tout en réduisant leurs coûts. Le Fonds européen de la Défense pourrait générer, selon la Commission, un volume total d'investissement dans le développement de capacités de 5 milliards d'euros par an.
  • La deuxième est la promotion des investissements dans les PME, les start-up, les  entreprises de taille intermédiaire (ETI)  et les autres fournisseurs de l'industrie de Défense. L'objectif est de permettre le financement pour les activités de double usage.
  • Enfin, la troisième est le renforcement du marché unique de la Défense.

Le défi de l’autonomie stratégique et opérationnelle

La PESCO qui est très orientée vers le développement en commun de capacités militaires. Mais cette orientation capacitaire est également celle de toutes les autres initiatives de l’Union européenne, qu’il s’agisse de l’examen annuel coordonné en matière de défense (CARD), du programme européen de développement industriel de la défense (EDIDP ou PEDID), du Fonds européen de la Défense ou du Plan d’action européen pour la Défense.

Si l’ensemble de ces initiatives est évidemment essentiel dans le contexte actuel, il n’en reste pas moins que l’Union traite de la question de la sécurité et de la Défense à travers ses instruments classiques que sont des financements et cofinancements européens, l’ouverture à la concurrence et la coordination des politiques nationales.

En réalité, l’objectif principal de ces initiatives est industriel, et c’est d’ailleurs la base légale de nombre d’entre elles.
Or, ce renforcement des capacités militaires européennes est insuffisant en lui-même et ne peut être qu’une première étape vers « l’autonomie stratégique et opérationnelle » mentionnée par le président de la République dans ses vœux aux Armées.
En effet, il faut se poser la question : à quoi bon avoir les meilleurs équipements militaires du monde s’ils ne servent pas ? L’une des personnes auditionnées par l’Assemblée nationale a utilisé l’image du camion de pompiers.

Dans quelques années, l’Europe ayant développé ses capacités disposera d’un magnifique engin neuf équipé de la plus moderne des technologies de lutte contre le feu.
Toutefois, s’il reste dans la caserne parce que les pompiers sont incapables de travailler ensemble ou que leurs chefs se disputent sur l’usage qui doit en être fait : certains refusent même de risquer la vie de leurs hommes et d’endommager un si beau matériel, alors les incendies se poursuivront et s’étendront dans le voisinage, jusqu’à brûler la caserne elle-même.

La sécurité et la Défense, sensées relégitimer l’Union européenne, pourraient ainsi nourrir s’il en était besoin l’euroscepticisme.
C’est pourquoi, sans attendre le développement des capacités militaires, l’Union européenne doit, d’après l’Assemblée nationale, dès à présent réfléchir à renforcer le caractère opérationnel de la PSDC, c’est-à-dire ses capacités d’intervention et de projection.

En effet, sans de telles capacités, il est vain de croire que l’Union pourra mettre en œuvre une PSDC à la hauteur des ambitions affichées et répondre aux préoccupations de sécurité des Européens.
Or, en la matière, la situation n’est pas satisfaisante, comme ne l’est évidemment pas le spectacle un peu « désolant » selon l’Assemblée nationale, que donne l’Union européenne avec ses groupements tactiques (GTUE) qui, depuis 2005, s’entraînent sans jamais avoir été déployés. Ces groupements tactiques n’ont jamais été déployés en raison du coût qu’ils représentent pour les États membres concernés et de l’unanimité exigée pour leur engagement.

Toujours selon elle, il faut réfléchir dès à présent à un nouveau concept de force d’intervention rapide qui corrige les défauts des groupements tactiques, comme a commencé à le faire la France à travers la proposition d’une initiative européenne d’intervention.
Il pourrait reposer sur un noyau dur d’États membres, par exemple ceux de l’Eurocorps. L’Eurocorps a les capacités opérationnelles suffisantes pour intervenir très rapidement en cas de crise extérieure.
Ils seraient soutenus par d’autres États membres qui, sans avoir de telles capacités, seraient en mesure de les décharger de certaines tâches comme le transport ou l’assistance médicale.

1e limite de la PESCO : une réforme institutionnelle complexe à mener


D’après l’Assemblée nationale, la structure actuelle des institutions européennes est restée figée à ce qu’était l’Union européenne lors de la ratification du traité de Maastricht il y a un quart de siècle. L’adapter en cohérence avec la priorité nouvelle donnée à la PSDC apparaît donc nécessaire.
Malheureusement, cet aménagement de bon sens se heurte à la rigidité des traités européens. Certaines réformes n’engageant pas une modification des traités pourraient être mises en œuvre. Par exemple, la création :
  • d’une commission de la Défense au sein du Parlement européen;
  • d’une nouvelle Direction générale pourrait être créée au sein de la Commission européenne qui regrouperait la gestion des programmes régaliens existants, notamment spatiaux, et des futurs programmes de Défense comme les programmes civils ayant une composante sécurité et Défense.
    Selon l'Assemblée nationale, cette nouvelle Direction générale devrait, dans l’idéal, être créée et pleinement opérationnelle d’ici à fin 2020 et le lancement du Fonds européen de la Défense. 

2e limite de la PESCO : un projet large à visée principalement capacitaire

Créée par le traité de Lisbonne, la PESCO a été présentée comme la possibilité pour un noyau dur d’États membres de progresser ensemble sur les questions de Défense. L’idée d’un noyau dur est d’autant plus pertinente que les dépenses de Défense sont très concentrées dans l’UE sur un petit nombre d’États membres (hors Royaume-Uni, : France, Allemagne, Espagne et Italie.

La logique aurait été que ces pays s’unissent entre eux. C’est aussi la vision française de la PESCO. L’Allemagne envisage au contraire la PESCO sous le prisme de l’intégration européenne et insiste sur son caractère inclusif, l’objectif étant d’assurer la participation de tous à des projets nécessairement moins ambitieux mais aussi de faire des économies.

Or, d’après l’Assemblée nationale, c’est la vision allemande qui a prévalu.
Ainsi qu’il a été dit, la PESCO regroupe la quasi-totalité des États membres sur la base de critères peu exigeants et autour de projets d’une ampleur très limitée.

Toujours d’après l’Assemblée nationale, les projets de capacités mis en œuvre dans le cadre de la PESCO ne changeront pas fondamentalement le rapport de force sur le terrain.
L’Union souffrira toujours des lacunes capacitaires actuelles qui la rendent dépendantes des moyens américains et ne se rapproche pas de l’objectif d’autonomie stratégique qui devrait pourtant être celui de la PESCO.
Le corollaire, c’est la faiblesse des engagements en matière opérationnelle. Les seules forces opérationnelles dont dispose l’Union européenne dans le cadre de la PSDC sont les groupements tactiques.

3e limite : une implication variable révélatrice de profondes divergences

Seon l’Assemblée nationale, si la quasi-totalité des États membres participent à la PESCO, il ne faut pas se leurrer sur sa signification.
Dans un contexte marqué une forte attente de l’ensemble des citoyens européens en matière de sécurité compte tenu de la multiplication des crises à l’extérieur de l’Union européenne, les Etats les plus sceptiques l’ont rejointe, mais cet acte ne peut pas s’analyser comme une adhésion pleine et entière à l’objectif d’une Défense européenne stratégiquement autonome tel qu’il est porté par la France.

Plusieurs indices montrent que les États membres n’ont pas la même vision de la PESCO, ce qui n’est pas sans conséquence puisque les décisions en son sein doivent être prises à l’unanimité.
Qu’un seul membre, à l’avenir, ne partage pas les orientations des autres et la PESCO se retrouvera bloquée.
En outre, maintenant que les 17 projets capacitaires de la PESCO ont été rendus publics, il saute aux yeux que le degré d’implication des États membres est très variable : l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne être particulièrement impliquées dans les projets.

Quant à la France, elle n’est pays chef de file dans que de deux projets et ne participe qu’à 2 autres. L’Assemblée nationale s’interroge sur une telle réserve, alors que d’autres pays disposant de bien moins de moyens, comme le Portugal, l’Irlande ou Chypre, participent à respectivement 9, 6 et 5 projets.

Par ailleurs, s’il est une réticence qui s’explique facilement, c’est celle de la Pologne. Si ce pays, en première ligne face à la Russie, ne pouvait pas rester en dehors de la PESCO, il ne l’a rejointe qu’à ses conditions.
Cependant, 3 « lignes rouges » sont en effet fixées par la Pologne s’agissant de sa participation à la PESCO, notamment les projets capacitaires de la PESCO doivent tenir compte des priorités et besoins de l’OTAN.

La participation de la Pologne à la PESCO semble donc essentiellement guidée par sa volonté d’être la gardienne vigilante des intérêts de l’OTAN, quitte, le cas échéant, à bloquer les projets qui lui seraient défavorables, et de bénéficier pour son industrie de Défense des projets PESCO. Elle est toutefois loin d’être la seule dans ce cas.

4e limite : la contrainte budgétaire

La Commission a annoncé vouloir soutenir financièrement l’industrie européenne de Défense à travers 2 instruments successifs :
  • le programme européen de développement de l’industrie de la défense visant à soutenir d’ici au 31 décembre 2020, la compétitivité et la capacité d’innovation de l’industrie de la défense de l’Union. Il fait l’objet d’une proposition de règlement présenté le 7 juin 2017 ;
  • le Fonds européen de Défense qui doit être opérationnel pour le prochain cadre financier pluriannuel (2021-2027).
L’Assemblée nationale attire l’attention a été attirée sur 2 risques pouvant compromettre la mise en œuvre de ces initiatives :
  • une réticence d’ordre idéologique. Pour la première fois de son histoire, le budget européen sera utilisé pour financer l’industrie de Défense, sous couvert de politique de recherche.
    Or, une telle évolution ne va pas de soi tant elle apparaîtrait, aux yeux de certains comme le symbole d’une militarisation de l’Europe, alors même que celle-ci repose sur un idéal de paix
  • un risque politique : les États membres devront s’entendre pour dégager les ressources nécessaires pour le Fonds européen de la Défense dans le prochain cadre financier pluriannuel dont les négociations vont s’ouvrir en 2018.
    Or, toujours très difficiles et conflictuelles, ces négociations le seront encore plus en raison du Brexit.
    Les pays d’Europe de l’Est, principaux bénéficiaires de la politique agricole commune (PAC) et la politique de cohésion, ne cachent pas leur intention de se battre pour préserver les financements de ces politiques
    Il est donc à craindre que la PSDC se retrouve l’otage des tractations budgétaires entre les États membres.

Synthèse du texte par Pierre Berthelet, auteur de securiteinterieure.fr

   

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