Alors que le Parlement français vient d'adopter une loi sur la pénalisation du client, le Parlement européen a approuvé une résolution dans laquelle il soutient la politique abolitionniste hexagonale.
Pour lui, un constat s’impose : moins il y a de prostitution, moins il y a de victimes. Même si l’existence d’un lien entre la "demande de services sexuels" et la traite d'êtres humains doit être confirmée, le modèle suédois abolitionniste semble avoir fait ses preuves pour les députés européens attentifs au phénomène de traite des êtres humains et très sensibles au sort des victimes.
Il faut dire que la traite des êtres humains est une atteinte à l'intégrité physique et psychologique de la victime aux répercussions graves. Elle est une forme grave de criminalité, généralement organisée, mue par une demande forte et des profits importants (estimés à quelque 150 milliards de dollars par an.
Très sensible à la question des femmes, le Parlement européen estime, dans son bilan sur la directive européenne de 2011 sur la traite des êtres humains, qu’il s’agit d’un phénomène spécifique du genre. Il exige en particulier des États membres qu'ils adoptent des mesures qui tiennent compte des différences hommes-femmes.
Réclamant davantage de fermeté, il considère qu’il importe d’opérer un changement radical en passant d'une culture d'impunité à la tolérance zéro vis-à-vis de la traite.
Un bon bilan de la directive mais une approche à parfaire
Le Parlement européen :
- salue la directive de 2011 pour son approche axée sur les droits de l'homme et les victimes, selon laquelle les victimes de la traite des êtres humains bénéficient de droits et de services au titre du droit international, sans considération de leur volonté ou possibilité de participer aux procédures pénales
- considère qu'une stratégie uniforme n'est pas efficace, et que les différentes formes de traite des êtres humains, comme la traite à des fins d'exploitation sexuelle et professionnelle ou la traite des enfants, doivent faire l'objet de mesures politiques spécifiques et adaptées;
- souligne que de nombreuses victimes d'exploitation sexuelle sont droguées dans le but de les maintenir en état de dépendance physique et psychique. Il invite donc les États membres à prévoir des programmes d'accompagnement spécialisés pour ces victimes et à reconnaître cet élément comme circonstance aggravante dans la réponse pénale à la traite des êtres humains;
- souligne que l'enregistrement des victimes de traite dans les prisons et les centres de détention dans certains États membres met au jour des lacunes dans le système et dans les connaissances des professionnels concernés.
Les mesures choc : "suivre l’argent" et tolérance zéro vis-à-vis de la traite
Le Parlement européen :
Le Parlement européen :
- prend acte du nombre peu élevé de poursuites et de condamnations pour l'infraction de traite au niveau national;
- invite les États membres à mettre en place de lourdes sanctions pénales pour les infractions de traite des êtres humains, d'esclavage moderne et d'exploitation ;
- propose de conférer le caractère d'infraction pénale au fait de recourir sciemment aux services de victimes de la traite des êtres humains, notamment dans la prostitution, à l'exploitation de la prostitution d'autrui ou à d'autres formes d'exploitation sexuelle, de travail ou de services forcés, y compris la mendicité, l'esclavage ou le prélèvement d'organes;
- souligne l'importance de "suivre l'argent", car il s'agit d'une stratégie essentielle pour enquêter sur les réseaux de criminalité organisée qui tirent profit de la traite des êtres humains et pour les poursuivre;
- souligne que les États membres devraient renforcer leur coopération en ce qui concerne le gel et la confiscation des avoirs des personnes impliquées dans la traite, étant donné que ce pourrait être un moyen efficace de transformer la traite des êtres humains d'une activité hautement lucrative à faible risque en une activité faiblement lucrative à haut risque;
- déplore que les capacités d'Europol ne soient pas pleinement exploitées par les autorités répressives des États membres concernant d'informations avec Europol ;
- estime qu’il faut établir des liens entre des enquêtes menées dans différents États membres et dresser un tableau plus vaste des informations disponibles sur les réseaux de criminalité organisée les plus dangereux actuellement actifs en Europe.
S'attaquer à la traite sur Internet
Le Parlement européen :
- dénonce le fait que l'internet est de plus en plus utilisé pour recruter des victimes au moyen d'offres d'emploi fictives, faire la publicité des services extorqués aux victimes exploitées et échanger des informations entre les réseaux criminels;
- insiste sur la nécessité d'utiliser les nouvelles technologies, les réseaux sociaux et l'internet pour diffuser les bonnes pratiques en matière de lutte contre la traite ainsi que pour sensibiliser l'opinion publique et alerter les victimes potentielles contre les risques de traite; demande à la Commission, dans ce contexte, d'approfondir l'étude du rôle de l'internet dans la traite ;
- invite Europol et les États membres à renforcer leur action pour lutter contre les recruteurs qui utilisent différents canaux dont notamment les réseaux sociaux et les sites internet (agences de recrutement en ligne);
- invite la Commission européenne à étendre le mandat de l'unité de l'Union chargée du signalement des contenus sur Internet d'Europol à la lutte contre la traite des êtres humains.
Avoir une approche centrée autour de la protection des victimes
Le Parlement européen :
- insiste sur le fait que toute obligation pour les victimes de prendre part aux poursuites contre les trafiquants peut leur être nuisible; Une telle obligation, dans une approche fondée sur les droits de l'homme, ne devrait pas être une condition d'accès aux services de prise en charge des victimes;
- souligne qu'il convient d'informer systématiquement toutes les victimes de la traite de la possibilité de bénéficier d'une période de rétablissement et de réflexion, et d'accorder effectivement une telle période;
- propose d’étendre la période minimale de 30 jours de rétablissement et de réflexion prévue ;
- déplore que, dans certains États membres, ces droits aient fait l'objet d'une simple transposition dans la législation applicable en matière de migration et que, dans ces conditions, ils ne s'appliquent pas à l'ensemble des victimes de traite mais uniquement aux victimes en situation irrégulière;
- rappelle que toutes les victimes de traite doivent pouvoir bénéficier de ces droits.
Améliorer la formation, sensibiliser et promouvoir davantage l’égalité des sexes
Le Parlement européen :
- insiste sur le fait de porter une attention particulière à la sensibilisation des forces de police et du grand public aux nouvelles formes de traite des êtres humains;
- propose d'examiner, avec les États membres, les avantages d'une politique équitable de recrutement et de promotion au sein des services répressifs et des services chargés du contrôle des frontières.
Concernant les agences européennes (Eurojust, Europol, FRA, Frontex, CEPOL ou EASO) , le Parlement européen :
- invite les agences relevant de la justice et des affaires intérieures (JAI), telles que, à élaborer un programme durable pour l'amélioration de l'équilibre hommes-femmes dans les processus décisionnels pertinents au regard de la traite d'êtres humains;
- préconise de publier des chiffres sur la proportion d'hommes et de femmes au sein du comité de direction et du personnel de ces agences ;
- préconise également que des programmes, tels que le programme Female factor d'Europol, soient mis en place dans les agences dans lesquelles les hommes sont les plus surreprésentés, et ce de manière périodique plutôt que ponctuelle.
En effet, le Parlement :
- souligne que les efforts visant à améliorer l'égalité des sexes contribuent à la prévention de la traite et devraient contenir des stratégies pour les programmes d'éducation et d'émancipation des femmes et des filles afin de renforcer leur position dans la société et de les rendre moins vulnérables à la traite;
- invite les États membres à prendre davantage de mesures préventives, telles que l'organisation de campagnes d'information et de sensibilisation, de formations spécifiquement destinées aux hommes, d'ateliers ciblés avec des populations vulnérables ou d'activités pédagogiques dans les écoles, notamment pour promouvoir l'égalité et lutter contre les stéréotypes et les violences sexistes, eu égard au fait que l'égalité de traitement pour tous devrait constituer un objectif pour la société dans son ensemble.
Améliorer la connaissance du phénomène
Le Parlement européen :
- demande aux États membres de collecter des données plus détaillées et actuelles en compilant les informations statistiques fiables rassemblées auprès de tous les principaux acteurs ;
- relève que les acteurs s'accordent généralement sur le fait que la grande majorité des victimes de traite ne sont pas identifiées;
- reconnaît que la question de la traite de certains groupes vulnérables, notamment les jeunes (sans domicile fixe), les enfants, les personnes souffrant d'un handicap ou les personnes LGTBI (lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres ou intersexuées), a été négligée.
Il souligne l'importance d'améliorer la collecte des données pour développer des actions destinées à identifier les victimes appartenant à ces catégories et pour mettre en place des bonnes pratiques dans la gestion des besoins particuliers de ces victimes; - s'inquiète de l'absence de données concernant les femmes et les enfants roms exposés au risque de traite sous la forme de travail ou de service forcé, notamment de mendicité. Il demande à la Commission de fournir des données sur les femmes et les enfants roms qui se sont vu reconnaître le statut de victime de cette forme de traite et de préciser le nombre de victimes qui a bénéficié d'une aide ainsi que d'indiquer les pays où cette aide a été apportée.
Venir en aide aux victimes en situation illégale
Le Parlement européen :
- estime qu’il convient d'accorder une attention particulière aux demandeurs d'asile, aux réfugiés et aux migrants, car ils sont confrontés à des risques multiples et sont particulièrement exposés à l'exploitation et à d'autres formes d'abus;
- considère que l'identification des victimes reste difficile et qu'en vue d'aider les victimes de la traite et de poursuivre et de condamner les trafiquants.
Il convient donc, pour le Parlement européen, de renforcer l'aide aux victimes et leur protection, notamment le droit de la victime de résider et de travailler légalement dans l'État membre où elle a été amenée, tout en améliorant l'accès des victimes à la justice et à la réparation des dommages; - note que le caractère irrégulier du statut juridique de résidence n'empêche personne d'être victime de traite et, donc, que de telles victimes devraient avoir les mêmes droits que les autres;
- invite les États membres à ne pas confondre les questions de migration et de traite, à la lumière du principe d'inconditionnalité de l'assistance inscrit dans la directive.
En outre, il :
- demande à la Commission et aux États membres d'étudier le lien existant entre l'augmentation du nombre d'arrivées de réfugiés et la traite;
- invite les États membres à renforcer leur coopération, notamment dans les centres d'accueil et d'enregistrement, afin d'identifier les victimes potentielles, et à utiliser tous les moyens pour lutter contre les trafiquants et les passeurs, y compris en améliorant la collecte de données et en veillant au respect des normes en vigueur en matière de protection;
- estime que la nouvelle stratégie reposant sur les "hotspots" préconisée par le programme de l'Union en matière de migration ne devrait pas se cantonner à traiter rapidement les dossiers en souffrance, mais devrait contenir un volet consacré à lutte contre la traite d'êtres humains axé sur une orientation efficace des victimes potentielles;
- invite les États membres à mener une évaluation critique de leur enregistrement des réfugiés et des services et structures de soin compétents étant donné que les réfugiés, et notamment les mineurs non accompagnés, très vulnérables à l'exploitation par des organisations criminelles et à la traite des êtres humains ;
- précise que, pour prévenir la traite et l'immigration clandestine, il importe de mettre en place des canaux destinés à la migration légale et sûre pour les femmes et les enfants (par exemple des visas humanitaires);
- observe qu'il est aussi important que les pays d'accueil garantissent aux femmes migrantes qui se sont vu accorder un permis de séjour légal dans le pays d'accueil puissent accéder à l'apprentissage des langues et à d'autres moyens d'intégration sociale, en particulier à l'éducation et à la formation.
Accorder davantage d'attention sur les femmes et les filles
Le Parlement européen considère que :
- les femmes et les filles représentent 80% des victimes enregistrées de la traite, et que cela peut être attribué en partie à la violence structurelle et à la discrimination contre les femmes et les filles;
- la majorité des victimes enregistrées sont des femmes et des filles victimes de la traite à des fins d'exploitation sexuelle, qui représentent au total près de 95 % des victimes de la traite à des fins d'exploitation sexuelle ;
- la majorité (70 %) des trafiquants suspectés, poursuivis et condamnés sont des hommes.
En outre il estime que :
- la tolérance de la société à l'égard des inégalités entre les sexes et de la violence contre les femmes et les jeunes filles continuent à offrir un environnement permissif à la traite;
- les victimes de la traite ont besoin de services spécialisés, notamment :
- d'un accès à un hébergement sûr, à court ou à long terme,
- de programmes de protection des témoins,
- de services de soin de santé et de soutien psychologique,
- de services de traduction et d'interprétation,
- de voies de recours juridique,
- de mécanismes de réparation,
- d'un accès à l'éducation et à la formation, notamment à l'apprentissage de la langue de leur pays de résidence,
- de services de placement professionnel,
- d'une aide à la réinsertion, à la médiation familiale et à la réinstallation;
De surcroît, il :
- insiste sur le fait que la dimension générique de la traite impose aux États membres de considérer le traite comme une forme de violence contre les femmes et les jeunes filles;
- demande à la Commission de présenter une stratégie européenne contre les violences sexistes comportant une proposition législative sur les violences faites aux femmes, qui comprenne la traite;
- souligne qu'il est important que tous les États membres reconnaissent le droit systématique des femmes victimes de la traite, dont la grossesse est imputable à leur exploitation, de pouvoir bénéficier de services sûrs d'avortement.
Par ailleurs, le Parlement européen :
- relève que les mariages de complaisance peuvent, dans certaines conditions, relever de la traite d'êtres humains s'ils sont forcés ou assortis d'une forme quelconque d'exploitation, et que les femmes et les filles risquent davantage d'en être victimes;
- souligne que le mariage forcé peut être perçu comme une forme de traite des êtres humains s'il contient un élément d'exploitation de la victime et invite l'ensemble des États membres à inclure cette dimension.
Il invite les États membres à prévoir des services appropriés d'accueil de ces victimes; invite la Commission à renforcer l'échange de bonnes pratiques à cet égard.
Prohiber l'achat de services sexuels
Le Parlement européen :
- considère que les types de prostitution où l'on rencontre le plus de victimes de la traite des êtres humains, par exemple la prostitution de rue, ont diminué dans les pays qui ont érigé en infraction l'achat de prestations sexuelles et les activités générant des profits à partir de la prostitution d'autres personnes;
- insiste sur les données qui confirment l'effet dissuasif de la criminalisation de l'achat de services sexuels en Suède;
- souligne l'effet normatif de ce modèle de réglementation et du potentiel qu'il recèle du point de vue de l'évolution des attitudes sociales en vue de réduire la demande globale de services à l'égard des victimes de traite.
Conscient que la réglementation de la prostitution est du ressort des États membres, il :
- demande à la Commission d'examiner plus avant les liens entre la demande de services sexuels et la traite d'êtres humains;
- invite les États membres à élaborer des campagnes destinées à décourager la demande de services sexuels;
- invite les États membres à élaborer des stratégies, telles que ainsi que des campagnes destinées à décourager la demande de services sexuels à des victimes de la traite des programmes de sortie et des dispositifs visant :
- à donner des moyens d'action aux personnes prostituées,
- à protéger leurs droits,
- à les rendre moins vulnérables à l'exploitation.
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synthèse de divers textes ci-dessous par Pierre Berthelet alias securiteinterieure.fr
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