Police et justice se sont toujours inscrites dans une dynamique de concurrence plus ou moins forte concernant les efforts menés par l’Union pour améliorer la coopération policière et judiciaire pénale. Cependant, cette compétition s’insérait dans la perspective d’émulation. À présent, elle l’est davantage dans une logique de séparation.
Deux projets politiques d’intégration européenne concurrents, la Sécurité intérieure européenne d’un côté, et l’Espace pénal européen de l’autre, se développent en parallèle. Façonnés par deux communautés rivales, ces projets posent la question du rapport entre la police et la justice à l’échelle européenne.
S’agit-il d’un rapport d’autorité, comme le désirent les défenseurs de l’Espace pénal européen, au nom du principe du contrôle des activités de police par le juge garant des libertés ? Ou s’agit-il d’un rapport d’égalité comme le soutiennent les défenseurs de la Sécurité intérieure européenne, au titre d’une sécurité intégrée dans laquelle police et justice collaborent comme partenaires ?
Introduction
La police et la justice se portent un « amour réciproque » affirme le Professeur Labayle non sans ironie. Il suffit de se rappeler les relations parfois tendues entre les forces de sécurité intérieure d’un côté, et l’autorité judiciaire de l’autre. Il suffit aussi de se remémorer les relations de temps à autre houleuses entre le ministre de l’Intérieur et le Garde des Sceaux, et ce, quelle que soit d’ailleurs la couleur politique du gouvernement.
Même si la rivalité police-justice demeure une question toujours délicate à évoquer, elle est somme toute assez banale en France et dans bon nombre d’États membres de l’Union. Un élément reste néanmoins remarquable, ayant trait, en l’occurrence, à un déplacement à l’échelle européenne de cet affrontement existant au niveau national.
D’emblée, le déplacement de la problématique des rapports difficiles entre la police et la justice à l’échelon de l’Union peut sembler surprenant en raison du fait qu’il n’existe pas d’autorité judiciaire pénale européenne, du moins avant la création d’un Parquet européen dont les statuts sont encore actuellement en négociation. Il n’y a pas non plus de police européenne. L’office européen de police, Europol, ne possède pas de pouvoirs coercitifs et le traité de Lisbonne de 2007 l’a clairement précisé, enterrant, s’il en est, les derniers espoirs d’un FBI européen.
Ensuite, les questions relatives aux rapports entre la police et la justice ont été abordées au niveau européen sous l’angle de la coopération. En effet, les États souverains ont accepté de mettre en commun certaines de leurs compétences dans ce domaine.
Néanmoins, étant donné la sensibilité des matières évoquées (liées intimement aux prérogatives régaliennes du droit de punir et du droit de protéger), ils ont consenti uniquement à la création de mécanismes destinés à faciliter l’entraide entre services policiers d’États différents, de même qu’entre autorités judiciaires.
Pour ces deux raisons, un affrontement police-justice peut paraître en décalage avec le regard porté sur l’Union européenne en tant que projet politique et sur son action dans le domaine des politiques pénales et de sécurité. Elle l’est d’autant plus que police et justice cohabitent sous le même toit, c’est-à-dire dans le cadre d’un même projet, à savoir l’Espace de liberté, de sécurité et de justice (ELSJ) qui, comme son nom l’indique, associe étroitement la sécurité à la liberté et à la justice.
Reste que depuis la création de la « justice et affaires intérieures » (JAI) par le traité de Maastricht de 1992 et l’instauration de cet ELSJ par le traité d’Amsterdam de 1997, beaucoup d’eau a coulé. En premier lieu, le cadre institutionnel a changé et même fondamentalement. Le traité de Lisbonne a substitué la méthode communautaire à la méthode intergouvernementale.
L’ELSJ relève, à présent, du mécanisme de procédure législative ordinaire : le Parlement européen est co-législateur avec le Conseil de l’UE et la Commission européenne dispose d’un quasi-monopole d’initiative législative, tandis que la Cour de justice de Luxembourg peut statuer pleinement sur les actes adoptés.
En deuxième lieu, et ce point mérite d’être souligné, police et justice ont noué des rapports de concurrence depuis le début. La JAI était déjà marquée par des tensions entre les avancées de la coopération policière et les retards de la coopération judiciaire.
La création d’Europol en 1995 a été l’un des éléments justifiant, à côté du souci de ne laisser aucune zone d’impunité aux délinquants au sein du territoire européen, la création d’Eurojust en 2002. Cependant, cette compétition prenait les atours d’une émulation : l’intégration en matière policière s’accompagnait d’une intégration dans le domaine judiciaire.
À l’heure actuelle, la situation est différente. La concurrence se transforme en rivalité et l’émulation en séparation. En effet, l’action de l’Union européenne en matière policière et judiciaire s’organise autour de deux projets distincts : l’Espace pénal européen et la Sécurité intérieure européenne. L’objectif de cette contribution est de montrer que le développement de ces deux projets n’est pas complémentaire et que ceux-ci sont sous-tendus par des logiques distinctes, promus par des communautés rivales, chacune essayant d’imposer ses conceptions à l’autre concernant le rapport liberté/sécurité.
Il conviendra donc de présenter ces deux projets antagonistes, avant comprendre la raison pour laquelle ceux-ci ont pu prospérer de manière séparée. L’explication tient au fait que l’Union est fragmentée d’un point de vue institutionnel. Cette fragmentation est propice à l’émergence de communautés plus ou moins étanches, et opérant de manière spécifique.
Ces communautés, dont la caractéristique est d’être transnationale, brisent l’image communément admise dans le chef de l’opinion publique et, au demeurant, largement exploitée par les leaders politiques nationaux, d’une Union opposée aux États. Force est de constater que les clivages parcourant les rapports police/justice à l’échelle de l’Union apparaissent davantage verticaux qu’horizontaux, en mettant en compétition deux communautés qui puisent leurs racines dans les États membres, et qui s’affrontent par agences, institutions et organes interposés.
(c) présentation et introduction de l'article sous copyright.
PLAN DE L'ARTICLE
1. Deux projets antagonistes
1.1 Espace pénal européen et Sécurité intérieure européenne
1.2 Deux logiques différentes pour deux projets distincts
2. Deux communautés rassemblées autour de deux projets concurrents
2.1 Une opposition police-justice autour de deux communautés sectorielles
2.2 Sécurité versus liberté et justice
2.3 L’absence d’opposition rigide et monolithique
Conclusion
LIRE L'ARTICLE IN EXTENSO DANS LES CAHIERS DE LA SECURITE ET DE LA JUSTICE
pour citer l'article : Berthelet, Pierre, "Police et justice à l’échelle de l’Union européenne, du désamour au divorce ? La Sécurité intérieure européenne contre l’Espace pénal européen", Paris, La documentation française, Cahiers de la sécurité et de la justice, n° 31, 2015, p. 39-49.
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