Les discussions portant sur un « Après-Stockholm » ont été engagées. A cette égard, une étude du Parlement européen dresse un bilan critique de l’action menée sous le régime du programme de Stockholm relatif à l’espace de liberté, de sécurité et de justice, et présente une série de pistes pour l’avenir. Cette étude, demandée par la Commission des libertés civiles, de la justice et des Affaires intérieures du Parlement européen (LIBE), a été rédigée par le Professeur Henri Labayle (Professeur à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour, Faculté de droit de Bayonne, Membre du Réseau académique « Odysseus » d’études juridiques sur l’immigration et l’asile en Europe pour la France), et auteur de De l’évaluation à la déception : le bilan du Programme de Stockholm mérite-t-il une suite ?).
Ce document a été rédigé avec la collaboration du Professeur Philippe De Bruycker (Professeur à l’Institut d’Etudes Européennes de l’Université Libre de Bruxelles, Coordonnateur du Réseau académique « Odysseus » d’études juridiques sur l’immigration et l’asile en Europe).
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Des réussites concrètes
Le rôle des agences
Il est possible de citer à ce sujet l’Agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d’information à grande échelle a été actée (à lire la nouvelle agence eu-LISA pour les nouveaux système d’information à grande échelle et sur securiteinterieure.fr : La nouvelle Agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes à grande échelle). La gestion des frontières extérieures et la politique commune d’asile ont été les principaux bénéficiaires de ce renforcement du rôle des agences dans l’Union. La création du Bureau européen d’appui en matière d’asile et le renforcement du mandat de Frontex en 2011(à lire sur securiteinterieure.fr : Adoption officielle du nouveau règlement Frontex) constituent en outre indéniablement des développements positifs sur le plan opérationnel, en voie du reste de prolongement.
L’émergence d’une culture opérationnelle
La dimension opérationnelle de l’espace de liberté, de sécurité et de justice stricto sensu a également été servie par une série d’efforts concrets visant à faciliter les tâches des acteurs de terrain. Le programme de Stockholm met l’accent sur la nécessité de renforcer la coopération entre les professionnels de la Justice, d’améliorer leur formation et de mobiliser les moyens permettant de supprimer les entraves à la reconnaissance mutuelle des actes juridiques. L’action de l’Union a été marquée, ici, par de nets progrès.
Des déséquilibres persistants entre liberté et sécurité
L’affirmation du programme selon laquelle l’individu doit être placé « au centre » de l’action de l’Union reste à vérifier concrète ment et le « défi » d’assurer la sécurité de l’UE dans le respect des droits fondamentaux n’est pas encore relevé, comme si l’Union n’avait pas su saisir la « chance » soulignée par l’Agence des droits fondamentaux à l’époque.
La carence principale de la protection juridictionnelle des droits fondamentaux dans l’Union résulte en effet le plus fréquemment du silence conservé à son sujet par des textes aussi essentiels que la décision-cadre relative au mandat d’arrêt européen, faute de consensus entre Etats membres, et conduisant la Cour de justice à combler cette carence autant que possible.
C’est également le cas de la protection des droits individuels dans une société de l’information, préoccupation qui fait également partie des « priorités politiques » du Programme. La « croissance exponentielle » des informations numériques sur le citoyen à la suite des progrès technologiques avait fait l’objet d’une mise en garde du Contrôleur européen de la protection des données. Le retard pris par les propositions de réglementation tant en matière de protection générale des données qu’à propos de la lutte contre le crime, y compris avec des Etats tiers, demeure préoccupant en ce qu’il traduit l’incapacité de l’Union à dégager un modèle européen de protection des données (à lire sur securiteinterieure.fr : le fil des articles sur la protection des données à caractère personnel) malgré la conclusion d’accords externes de grande envergure, tels que les accords PNR (à lire sur securiteinterieure.fr : le fil des articles PNR), qui réclameraient une telle garantie.
Enfin, la priorité politique visant à « promouvoir la citoyenneté et les droits fondamentaux » n’est manifestement pas satisfaite au regard de la perpétuation de la situation juridique faite aux Roms dans l’Union, tant au plan de la libre circulation dans un Espace unique qu’à celui qui leur est réservé dans nombre d’Etats membres. Là encore, le rapport 2012 de l’Agence des droits fondamentaux souligne la persistance de discriminations en matière de logement, d’éducation ou d’accès aux soins.
A cet égard, la décision-cadre sur la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal qui prévoit le réexamen du texte en 2013 gagnerait à être mis en œuvre.
La question de son « plein exercice » dans un espace ouvert à tous oblige du reste curieusement à s’interroger sur les obstacles qui freinent encore la libre circulation des citoyens européens. Cette attitude restrictive correspond aux tendances profondes d’un certain nombre d’Etats membres, concrétisée lors du Conseil JAI de juin 2013 où quatre ministres de l’Intérieur ont saisi le Conseil par écrit de ce qu’ils estiment constituer des «abus» du droit à la libre circulation (à lire sur securiteinterieure.fr : le dossier Schengen).
Des déséquilibres persistants entre justice et sécurité
L’un des résultats les plus visibles de l’action de l’Union tient dans l’établissement d’une Stratégie de sécurité intérieure en 2010. Au plan politique et stratégique, l’adoption de cette stratégie comme sa gestion au sein du Conseil et du Comité permanent de sécurité intérieure (COSI) contraste avec les pratiques connues en droit interne, qui laissent une large place au débat public dans les enceintes parlementaires. Elle ne remplace pas la définition ouverte et transparente d’une véritable politique criminelle dont les institutions parlementaires européennes et nationales pourraient être les partenaires et qui fait défaut à l’Union européenne. Elle intègre également des données, telles que la gestion des frontières extérieures de l’UE, dont l’approche ne saurait être exclusivement sécuritaire.
Enfin, comme le dossier Prism l’illustre (à lire sur securiteinterieure.fr : Affaire Prism : le Parlement européen lance une commission d'enquête), elle légitime a priori l’utilisation de moyens et la mise à l’écart de principes qui seraient dans le cas contraire impossibles à passer sous silence.
Supposant un accord de fond entre les Etats qui est loin d’être toujours acquis, confortant le jeu de la confiance mutuelle dans l’UE, cette approche essentiellement technocratique renvoie en réalité le traitement des difficultés au stade de l’exécution dans les Etats membres où les réticences des acteurs nationaux demeurent fortes à se plier à des options auxquelles ils n’ont pas été associés.
Car cette construction d’ensemble est également marquée par son absence de dimension judiciaire réelle, tant du point de vue de l’absence d’une juridiction pénale européenne ou de chambres spécialisées au sein de la CJUE que de l’implication des juges nationaux, malgré les progrès considérables réalisés.
Cette carence a profité pour l’essentiel à l’action policière, à la fois en termes de réalisations concrètes comme de moyens financiers. Même lorsque le juge est aujourd’hui un acteur de premier plan de l’Union dans la lutte contre le crime, comme c’est le cas d’Eurojust, l’absence d’une véritable coopération transversale ne lui permet pas de dépasser le rôle strictement horizontal dans lequel il est enfermé en s’impliquant activement dans la définition d’une politique criminelle de l’Union.
L’(in) capacité de l’Union face aux crises
L’espace de liberté, de sécurité et de justice a connu au moins deux crises majeures, quoique de nature différente, durant la période de mise en œuvre du programme de Stockholm. L’une d’elles est interne et due au dysfonctionnement du contrôle des frontières extérieures en Grèce.
La Grèce s’est révélée incapable de gérer les demandes d’asile dont elle est censée être responsable. Les problèmes rencontrés par les demandeurs d’asile sont tels qu’ils lui ont valu d’être condamné par la Cour européenne des droits de l’homme pour violation de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (à lire sur Combats pour les droits de l'Homme: Réadmissions vers la Grèce : la confiance mutuelle au sein de l’UE à l’épreuve de la CEDH et Droit d’asile en Grèce, la Cour de Strasbourg maintient sa position de fermeté).
L’Union européenne et ses agences (Bureau européen d’appui en matière d’asile et Frontex) ont réagi en utilisant pour la première fois des mécanismes comme les équipes ’intervention rapide aux frontières et les équipes d’appui asile, sans compter le soutien financier exceptionnel octroyé par la Commission européenne à la Grève via divers fonds.
Si ces mesures jointes aux efforts des autorités grecques ont été utiles, en particulier dans le domaine des frontières extérieures, la difficulté vient du fait qu’il est impossible de répondre via des mécanismes d’urgence à des problèmes structurels dus à divers facteurs (faiblesses d’un Etat très bureaucratique, crise financière aigue, position géopolitique très exposée, etc). La création d’un mécanisme d’alerte rapide, de préparation et de gestion de crise par le nouveau règlement Dublin III devrait dans l’avenir permettre d’éviter qu’une crise de ce type ne se répète dans un autre Etat membre. Il convient cependant de noter que l’existence du mécanisme d’évaluation Schengen, tout en ayant plus ou moins bien fonctionné en termes d’alerte dans le cas de la Grèce, n’a pas permis de prévenir la crise due à l’incapacité de cet Etat membre à contrôler seul sa frontière la Turquie.
Les exigences de la solidarité entre les Etats membres
L’examen de la réalité montre que le chemin à parcourir est encore long de ce point de vue. Car les affirmations théoriques à propos du principe de solidarité font peu de cas des oppositions d’intérêts entre les Etats membres qui expliquent la difficulté de sa mise en œuvre : tous les Etats ne sont pas concernés par la pression migratoire ou celle des demandeurs d’asile, pas davantage que tous les Etats membres ne sont visés par la criminalité terroriste. D’où des défaillances individuelles ou des réactions unilatérales d’Etats membres démontrant une absence de solidarité.
La crise de la gouvernance Schengen qui a découlé de l’opposition entre l’Italie et la France suit e aux flux migratoires générés par le printemps arabe a démontré à quel point la solidarité en matière de contrôle des frontières extérieures et de gestion des flux migratoires reste pour l’instant un concept dépourvu de substance au sein de l’espace de liberté, de sécurité et de justice. La volonté d’un Etat membre de rétablir les contrôles aux frontières intérieures n’est que le constat de cette absence et témoigne des errements dans lesquels l’Union européenne peut s’engager faute de solidarité.
L’enjeu institutionnel : le rôle des acteurs
L’adoption du programme qui succèdera à celui de Stockholm n’a pas manqué de soulever une controverse institutionnelle renvoyant à l’article 68 TFUE aux termes duquel «Conseil européen définit les orientations stratégiques de la programmation législative et opérationnelle dans l’espace de liberté, de sécurité et de justice ».
Les tensions qui ont déjà vu le jour à propos du programme qui succèdera à Stockholm incluent cette fois le Parlement européen. Le Conseil européen vient en effet de décider qu’il se penchera lors de sa réunion de juin 2014 sur la définition des orientations stratégiques de la programmation législative et opérationnelle dans l’espace de liberté, de sécurité et de justice.
Pour préparer cette réunion, les prochaines présidences sont invitées à engager un processus de réflexion au sein du Conseil. La Commission est, quant à elle, invitée à présenter les contributions voulues à ce processus » (conclusions du Conseil des 27 et 28 juin 2013). On voit immédiatement que le Parlement européen est oublié alors qu’il contribue traditionnellement à l’adoption du programme par une résolution informant le Conseil européen de sa position. Eviter un nouveau conflit serait d’autant plus heureux que les institutions européennes viennent de mettre un terme à la violente opposition qu’avait provoquée la problématique de la gouvernance Schengen.
La méthode de travail
Le doute semble s’être insidieusement installé quant à l’utilité du programme de Stockholm et, par-delà, également du prochain exercice de programmation de l’espace de liberté, sécurité et justice. Un certain nombre de signes avant-coureurs étaient perceptibles.
Ainsi, le tableau de bord visant à évaluer le respect des engagements a disparu dès le début de la mise en œuvre de Stockholm.
Ensuite, la Commission s’est elle-même dispensée d’évaluer les résultats de ce programme à mi-parcours (juin 2012) contrairement au souhait du Conseil européen qui n’a cependant rien trouvé à y redire.
Si le temps des bâtisseurs parait terminé aux yeux de certains, il est permis de penser que l’espace de liberté, sécurité et justice est loin de l’être et qu’il faudra encore un plan général pour continuer de progresser sur la voie de son achèvement.
En outre, on ne peut manquer de relever que l’évaluation de la mise en œuvre des programmes a régressé avec la disparition du tableau de bord concomitante à l’adoption du programme de Stockholm sans que cet instrument soit remplacé par le rapport annuel précité. L’Union européenne ne dispose ainsi même plus d’un instrument essentiellement descriptif qui permettait de réaliser une évaluation purement quantitative des politiques relevant de l’espace de liberté, sécurité et justice.
De manière générale, l’évaluation ex-post a clairement été négligée au profit de l’évaluation ex-ante prenant la forme d’analyses d’impact qui accompagnent dorénavant la plupart des initiatives législatives de la Commission et a bénéficié de l’initiative mieux légiférer dans le cadre de la bonne gouvernance. L’évaluation ex-post se limite jusqu’à présent pour l’essentiel à une évaluation juridique portant sur la transposition des directives par les Etats membres ou la mise en œuvre des règlements.
Par ailleurs, l’après Stockholm appelle un changement d’attitude de la Commission : si l’on peut comprendre que la décennie de mise en place de l’espace de liberté, de sécurité et de justice durant laquelle les textes fondateurs ont été âprement négociés, n’était guère propice à l’utilisation de l’arme juridictionnelle, la nouvelle période centrée sur l’évaluation de la mise en œuvre effective de l’acquis qui devrait s’ouvrir, appelle l’élaboration d’une stratégie contentieuse où le recours en manquement est utilisé comme menace à l’encontre des Etats membres qui ne transposent et n’appliquent pas correctement les normes en vigueur.
(synthèse du texte par securiteinterieure.fr)
A lire à la suite de cet article :
- De l’évaluation à la déception : le bilan du Programme de Stockholm mérite-t-il une suite ? (H. Labayle)
- Stockholm vue de Bruxelles: le Parlement Européen présente son étude sur la programmation concernant l’Espace de Liberté, Sécurité et Justice (ELSJ) pour la période 2009-2014 (C. Gianluca).
- Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (Rapport annuel 2012) : Les droits fondamentaux, victimes de la crise (M.-L. Basilien-Gainche)
Et pour approfondir le sujet sur securiteinterieure.fr :
- Stratégie de sécurité intérieure : le Parlement européen regrette (encore et toujours) sa mise à l’écart
- Espace de liberté, de sécurité et de justice : un bilan à mi-parcours du programme de Stockholm
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