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jeudi 18 avril 2024

« Trop peu, trop tard », le Sénat se montre critique face aux annonces européennes en matière anti-corruption

 


 

 « Eviter l’effet Tartuffe ». C’est en ces termes que le Sénat met en garde les institutions européennes, la Commission européenne en premier lieu, concernant ses critiques envers la France. Dans son rapport d'information, sa commission des affaires européennes soutient la réforme européenne anti-corruption engagée et elle dénonce l’absence de volonté politique de certains des Etats membres dans leur engagement dans cette lutte. En revanche, elle critique le fait que la France soit pointée du doigt alors que l’hexagone brille, selon elle, par les efforts entrepris contre ce phénomène. Quant au comité interinstitutionnel d’éthique, proposition phare du dernier paquet de mesures anti-corruption, la commission des affaires européennes juge la proposition trop tardive et trop faible. Elle propose dès lors une structure indépendante et disposant de pouvoirs accrus.



La France bon élève en matière anti-corruption

 
La commission des affaires européennes note qu’en 2023, 11 des 27 États membres de l'Union européenne, dont la France (20ème) se retrouvent parmi les 20 premiers États dans le classement de l'indice de perception de corruption publié annuellement par l'organisation non gouvernementale de lutte contre la corruption Transparency international, qui classe, par ordre décroissant, les pays du monde entier à l'aune de leurs législations et pratiques anticorruption

Plus spécifiquement, la France dispose d'un cadre juridique précis et de moyens notables pour prévenir la corruption, avec des obligations déclaratives imposées aux responsables publics, l'enregistrement obligatoire des représentants d'intérêts sur un répertoire national, l'action de conseil, d'information et de contrôle de la Haute autorité de transparence de la vie publique (HATVP) et la mise en place d'une stratégie nationale anticorruption par l'agence française anticorruption (AFA).
En 2022, le parquet national financier (PNF) a ouvert 217 enquêtes et avait 708 affaires en cours, dont 314 (44,35%) relatives à des atteintes à la probité.

En 2021, les parquets français ont traité 900 affaires d'atteinte à la probité, contre 853 en 2020 (+5,5 %). Ces affaires impliquaient 1 379 auteurs, dont 301 personnes morales. 55 % d'entre eux n'ont pas été poursuivis car l'infraction n'était pas assez caractérisée.
En outre, la France dispose d'une législation ambitieuse concernant la prévention de la corruption dans la vie publique.

La corruption, un phénomène endémique en Europe

Pour l'Union européenne, la lutte contre la corruption fait partie intégrante de l'État de droit, valeur de l'Union posée à l'article 2 du traité sur l'Union européenne (TUE).
C'est en effet au nom de cette valeur de l'État de droit que, depuis 2020, la Commission européenne évalue annuellement la situation de chaque État membre au regard de plusieurs critères : 

  • indépendance de la justice ; 
  • lutte contre la corruption ; 
  • indépendance de la presse et pluralisme des médias ; 
  • questions institutionnelles.

Malgré tout, la corruption demeure un phénomène massif dans l'Union européenne : son coût annuel pour les économies de l'Union européenne est évalué à 120 milliards d'euros selon une estimation prudente de la Commission européenne.
Ainsi, selon Europol, 60 % des réseaux du crime organisé usent de la corruption et 70 % d'entre eux mènent des actions de blanchiment de capitaux.
De plus, si les processus de corruption sont connus, les outils à la disposition des « corrupteurs » leur offrent de nouvelles perspectives. Europol mentionne ainsi l'importance croissante de l'usage des « crypto-monnaies » par les organisations criminelles pour corrompre les agents publics.


Une réforme européenne qui va dans le bon sens

 
La proposition de directive relative à la lutte contre la corruption, présentée le 3 mai 2023 par la Commission européenne, est sans doute l'une des réformes les plus importantes préparées par l'actuel collège des commissaires européens.
C'est pourquoi, tout en déplorant le calendrier tardif de dépôt de cette réforme et l'absence d'analyse d'impact pour en justifier les dispositions, la commission des affaires européennes souhaite apporter un soutien de principe à ce texte majeur.
En complément, la commission des affaires européennes :

  • demande que les organismes spécialisés dans la prévention de la corruption bénéficient bien d'une indépendance statutaire ou fonctionnelle, comme la HATVP ou l'agence française anticorruption (AFA);
  • estime que l'obligation d'information imposée aux organismes de répression de la corruption doit être conciliée avec le maintien de l'efficacité de leurs enquêtes et poursuites ;
  • souhaite l'harmonisation des délais de prescription proposés sur une durée de six ans, comme en droit français.


Une absence de réelle volonté politique nationale


Mais malgré les efforts entrepris pour contre ce phénomène, La commission des affaires européennes fait remarquer que le cadre juridique demeure partiel et parcellaire. La situation des États membres variable au regard de la lutte anticorruption, ce qui conduit désormais l'Union européenne à accroître la pression sur eux pour obtenir des résultats.

En effet, cette persistance des faits de corruption profite également des divergences de législations entre les États membres et, parfois, de leur absence de volonté politique pour combattre la corruption.
Illustrant la très grande diversité de la situation des États membres en matière de lutte anticorruption, le rapport souligne que plusieurs États membres n'ont toujours pas de cadre juridique adapté. À titre d'exemple, certains États membres ne disposent pas de stratégie nationale anticorruption (Slovénie).
Dans son rapport d'évaluation de l'État de droit 2023, la Commission européenne vise même la France.


Une mise en garde contre l’effet Tartuffe

Au nom de la préservation de l’Etat de droit, la Commission européenne évalue désormais non seulement juridiquement mais aussi « éthiquement » les stratégies nationales de lutte contre la corruption, la situation de la justice, des journalistes et des médias, ainsi que le financement des partis politiques dans chaque État membre et jusqu'à leurs procédures législatives.
Or, si les institutions européennes souhaitent poursuivre cette politique ambitieuse voire intrusive, la commission des affaires européennes indique que ces mêmes institutions se doivent d'être elles-mêmes exemplaires dans le respect des règles éthiques, sous peine d'apparaître comme des « Tartuffes » et de perdre leur crédibilité et la confiance des citoyens.

En effet, le rapport de la commission des affaires européennes note que la corruption a pu être facilitée par les carences préoccupantes des institutions de l'Union européenne (Commission européenne ; Parlement européen ; Conseil de l'Union européenne...) dans l'adoption et l'application de « cadres éthiques » s'appliquant à elles-mêmes. Cet état de fait a été illustré par le scandale du « Qatargate » et par plusieurs enquêtes récentes de la Médiatrice de l'Union européenne.
De tels faits ont démontré la nécessité de réformes ambitieuses afin de garantir la pérennité du débat démocratique européen et de restaurer la confiance des citoyens des États membres, à l'heure où l'Union européenne n'a jamais eu autant de pouvoir.


Un organisme éthique interinstitutionnel présenté tardivement

Dans sa communication présentée le 8 juin 2023, la Commission européenne a proposé, par la voie d'un accord interinstitutionnel, la création d'un organisme éthique interinstitutionnel commun à neuf institutions de l'Union européenne, qui aurait pour mission de servir de forum d'échange de bonnes pratiques et de définir, sur une base consensuelle, des lignes directrices éthiques minimales pour les membres de ces institutions.
Elle relève, d'une part, que l'initiative de proposer la création d'un organisme éthique, qui avait été envisagée par la Présidente de la Commission européenne dès fin 2019, n'a été présentée que très tardivement par elle, en juin 2023, conduisant les négociateurs européens à se presser au risque de sceller un « accord au rabais » avant la fin du mandat du Parlement européen.

Un organisme insuffisamment indépendant

La commission des affaires européennes déplore la subordination totale de l'organisme éthique interinstitutionnel envisagé à l'égard de la Commission européenne, qui l'accueillerait dans ses locaux et dirigerait son secrétariat. Elle constate qu'en proposant de doter cet organisme d'un budget de 600 000 euros et de 2 emplois à plein temps (aidés par les chefs d'unité des institutions participantes), la Commission européenne a une vision minimaliste du rôle de ce comité.

Observant, avec la Médiatrice de l'Union européenne, que l'autorégulation des institutions européennes n'a pas donné les résultats escomptés dans le domaine de la prévention de la corruption et que, contrairement à l'interprétation qu'en fait la Commission européenne, les traités européens n'interdisent pas la création d'un organisme indépendant doté de pouvoirs de contrôle, la commission des affaires européennes préconise donc de créer un véritable « comité d'éthique européen » qui serait indépendant à l'égard des institutions participantes

Pour un organisme ayant davantage de compétences 

La commission des affaires européennes considère demande donc l'institution d'une structure disposant d'une faculté d'auto-saisine et de pouvoirs de contrôle.
La commission des affaires européennes estime que le comité d'éthique de l'Union européenne devrait :

  • rassembler les informations disponibles sur les procédures éthiques internes aux institutions participantes et jouer un rôle de sensibilisation sur les enjeux éthiques ;
  • avoir la faculté de s'auto-saisir d'une difficulté éthique, à la suite d'informations publiques ou sur requête individuelle, et d'enquêter sur cette difficulté, en vue de formuler des avis (non publics) en réponse à des situations individuelles et des recommandations publiques ;
  • pouvoir s'appuyer pour ses enquêtes sur la Médiatrice de l'Union européenne, la Cour des comptes de l'Union européenne et l'Office européen de lutte antifraude (OLAF). La commission des affaires européennes préconise une actualisation du statut de l'OLAF, afin de le rendre juridiquement et fonctionnellement indépendant à l'égard de la Commission européenne ;
  • se voir confier la tâche de rassembler, de tenir à la disposition du public et de contrôler les déclarations d'intérêts et, lorsqu'elles existent, de patrimoine, des membres des institutions participantes.
  • pouvoir suivre et contrôler les « pantouflages » des membres et personnels des institutions participantes ;
  • prendre en charge le contrôle du registre commun de transparence où doivent s'inscrire les représentants d'intérêts souhaitant influencer les décisions de la Commission européenne, du Conseil et du Parlement européen ;
  • évaluer chaque année le respect de l'État de droit par les institutions européennes dans un rapport spécifique intégré au cycle de suivi annuel pour que le suivi de l'État de droit soit complet et satisfaisant, en application directe de l'article 2 du TUE précité.

 

synthèse par Pierre Berthelet alias securiteinterieure.fr

 

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