Une pièce manquante dans la répression pénale européenne est-elle trouvée ? Il semblerait que oui si l’on en juge la proposition de règlement sur la table.
Cette proposition qui porte sur la transmission des procédures pénales entre États membres vise à améliorer la répression à l'échelle de l'Union. Actuellement, le passage de relais ne se fait pas, ou mal.
Quant au droit de l'UE, il ne la réglemente pas. Cette proposition de texte entend dès lors palier ce vide juridique en édictant des règles communes.
L’idée ? Empêcher que des procédures pénales parallèles inutiles concernant les mêmes faits et la même personne soient menées dans deux ou plusieurs États membres. Le but est de réduire le nombre de procédures multiples et de lutter contre l'impunité des criminels lorsque la remise en vertu d'un mandat d'arrêt européen est refusée.
Quel est le problème ? Des procédures multiples
Avec l'augmentation de la criminalité transfrontalière, la justice pénale de l'UE est de plus en plus confrontée à des situations dans lesquelles plusieurs États membres sont compétents pour poursuivre la même affaire.
Par exemple, la préparation d'un crime peut être effectuée dans un État membre, tandis que le crime peut être commis dans un autre État membre; ses auteurs peuvent être arrêtés dans un troisième État membre et les avoirs du crime transférés dans un quatrième État membre.
Cela est particulièrement vrai pour les crimes perpétrés par des groupes criminels organisés.
Les poursuites multiples pour les mêmes affaires posent des problèmes non seulement en termes de coordination et d'efficacité des poursuites pénales, mais peuvent également porter atteinte aux droits et intérêts des individus et peuvent entraîner une duplication des activités.
Les accusés, les victimes et les témoins peuvent être convoqués pour des audiences dans plusieurs pays.
D’où vient-on ? Un processus inabouti
Le cadre juridique international le plus complet en matière de transmission des procédures pénales – la Convention européenne sur la transmission des procédures répressives du 15 mai 1972 – n'a été ratifié et appliqué que par 13 États membres.
Un accord entre les États membres de l'UE sur la transmission des poursuites en matière pénale a été signé en 1990, mais n'est jamais entré en vigueur faute de ratifications.
En juillet 2009, la Présidence suédoise a présenté une initiative au nom de 16 États membres. Cependant, les États membres ont décidé d'interrompre les négociations lorsque le traité de Lisbonne est entré en vigueur le 1er décembre 2009.
La situation actuelle ? Un vide juridique
En l'absence d'un acte juridique spécifique de l'UE , les États membres transfèrent actuellement les procédures pénales entre eux en utilisant divers instruments juridiques, sans cadre juridique uniforme dans l'ensemble de l' UE .
La plupart des États membres ont donc recours à la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959.
Pour cette forme de coopération, cependant, la procédure de transfert est largement non réglementée.
Parmi les autres bases juridiques de la coopération dans ce domaine figurent les lois nationales, les accords bilatéraux ou multilatéraux ou le principe de réciprocité.
Une conséquence grave ? L’impunité des criminels
En l'absence d'un cadre juridique commun et en raison de différences entre les systèmes nationaux de justice pénale des États membres, les transferts de poursuites pénales se sont heurtés à plusieurs problèmes juridiques et pratiques.
L'expérience pratique montre que l' efficacité de la procédure de transfert est entravée, notamment, par des retards excessifs et un manque de communication entre les autorités.
L'absence de compétence pour poursuivre l'affaire dans l'État requis peut même conduire à l'impunité.
Les difficultés rencontrées peuvent aussi entraîner des retards dans les procédures pénales en raison de la longueur des procédures de transfert, ainsi qu'une utilisation inefficace des ressources humaines et financières, par exemple en raison de procédures se déroulant parallèlement dans deux ou plusieurs États membres.
Quelle solution ? La mise en place de règles communes
Des règles communes pour transférer les procédures pénales d'un État membre à un autre sont donc nécessaires. Cet outil de coopération transfrontalière :
- permet de lutter efficacement contre la criminalité transfrontière et de garantir que l'État membre le mieux placé enquête ou poursuive une infraction pénale.
- contribuer à l' administration de la justice pénale dans les États membres.
Ces règles communes en particulier pourraient contribuer à éviter des procédures parallèles inutiles dans différents États membres concernant les mêmes faits et la même personne, qui pourraient entraîner une violation du principe fondamental du droit pénal, : celui qu'une personne ne peut être poursuivie ou punie deux fois pour la même infraction ( principe ne bis in idem.
L’objectif ? Aller plus loin que l’acquis existant
La décision-cadre du 30 novembre 2009 du Conseil établissait une procédure d' échange d'informations et de consultations directes entre les autorités judiciaires nationales afin de parvenir à une solution et d'éviter toute conséquence négative résultant de procédures parallèles.
D' autres textes de l'UE en matière pénale, notamment en matière de lutte contre le terrorisme (directive du 15 mars 2017) ou la lutte contre le crime organisé (décision-cadre du 24 octobre 2008) énonçait les éléments à prendre en compte pour centraliser les poursuites dans un seul État membre.
Toutefois, ces actes juridiques ne réglementent pas la procédure de transfert des poursuites pénales.
Quant à Eurojust, il facilite les contacts et les consultations préliminaires et en résolvant les problèmes de compétence.
Eurojust peut demander aux autorités compétentes des États membres concernés d' accepter que l' une d' entre elles soit mieux placée pour entreprendre une enquête ou poursuivre des infractions spécifiques.
En particulier, Eurojust a publié des lignes directrices sur 'Quelle juridiction devrait poursuivre?' .
Il s’agit d’aider les autorités nationales compétentes à déterminer la juridiction la mieux placée pour engager des poursuites dans les affaires transfrontalières.
L’instrument ? Une proposition de règlement
En 2019, la présidence roumaine a suggéré d'explorer plus avant la nécessité d' une proposition législative sur le transfert des procédures pénales.
En décembre 2020, le Conseil, dans ses conclusions sur le mandat d'arrêt européen, a invité la Commission à réfléchir à un projet de texte.
En réponse, la Commission présente un texte qui établit des règles en vertu desquelles un État membre peut reprendre une procédure pénale à la demande d'un autre État membre.
La proposition s'applique dans tous les cas de transmission de procédures pénales dans l'UE à partir du moment où une personne a été identifiée comme suspect .
Étant donné que la proposition concerne les procédures transfrontalières, pour lesquelles des règles uniformes sont nécessaires, la Commission propose un règlement en tant qu'instrument juridique.
Un règlement est directement applicable dans tous les États membres, sans qu'il soit nécessaire de le transposer au préalable dans le droit national.
Un règlement est obligatoire dans tous ses éléments.
Il garantit donc que tous les États membres appliquent les règles de la même manière et que les règles entrent en vigueur en même temps.
Que prévoit la proposition?
La proposition prévoit les critères et la procédure de demande de transfert d'une procédure pénale. Ce règlement couvre toutes les infractions pénales. Par procédure pénale, on entend couvrir toutes les étapes de la procédure pénale, y compris la phase préliminaire et la phase du procès. Le présent règlement ne s'applique pas aux demandes de transfert de procédure administrative art.
Il implique deux autorités judiciaires :
- celles de l’«État requérant» dans lequel une demande de transmission d’une procédure pénale est émise;
- celles de l’«État requis» auquel une demande de transmission d’une procédure pénale est transmise aux fins de la reprise de cette procédure pénale.
Une liste indicative de critères
La proposition énonce une série critères pour demander le transfert d'une procédure pénale. La liste des critères est non exhaustive.
Il est indiqué que l’autorité requérante tient compte du fait que:
- l’infraction pénale a été commise sur le territoire de l’État requis;
- le suspect est un ressortissant ou un résident de l’État requis;
- la plupart des éléments de preuve pour l’enquête se trouvent dans l’État requis
- la majorité des témoins concernés résident dans cet État;
- une procédure pénale est en cours dans l’État requis pour les mêmes faits
- le suspect purge ou doit purger une peine de prison dans l’État requis;
- la majorité des victimes sont des ressortissants ou des résidents de l’État requis.
Un refus de transfert limité
L'autorité requérante peut demander le transfert. Il n’y a aucune obligation.
L'autorité requise doit décider d'accepter ou non le transfert d'une procédure pénale.
Ceci dit, la proposition fournit une liste exhaustive des motifs de refus de transfert d'une procédure pénale, tant obligatoires que non obligatoires.
Les motifs obligatoires de refus renvoient aux situations dans lesquelles la poursuite des faits faisant l'objet du transfèrement ne serait pas possible dans l'État requis.
C’est le cas lorsque le comportement pour lequel le transfèrement est demandé n'est pas considéré comme une infraction pénale dans l'État requis. État requis.
Les motifs de refus non obligatoires couvrent d'autres situations susceptibles de créer un obstacle à la prise en charge d'une procédure pénale.
En particulier, ils laissent à l'autorité requise la possibilité de refuser le transfert d'une procédure pénale qu'elle ne considère pas comme étant dans l'intérêt d'une administration efficace et correcte de la justice.
Des droits dûment pris en compte
Le suspect ou la victime a la possibilité de demander aux autorités compétentes de l'État requérant ou de l'État requis d'engager une procédure de transfert de poursuites pénales.
Lorsqu’un transfert est envisagé, alors l'autorité requérante est tenue d'informer le suspect et de lui donner la possibilité de donner son avis.
La prise en compte des droits de la victime sont aussi pris en compte.
En particulier, lorsque la victime réside dans l'État requérant, l'autorité requérante est tenue d'informer la victime du transfert et de lui donner la possibilité de donner son avis.
Enfin, un recours légal doit être garanti dans l'État requis contre la décision d'accepter le transfert des poursuites pénales.
Comment se passe ensuite le transfert ?
La demande de transfert de poursuites pénales doit être faite en remplissant une attestation type figurant en annexe à la proposition.
Si l’autorité requise accepte ce transfert, elle doit prendre les mesures nécessaires pour l’assurer. La proposition oblige alors l'autorité requérante à transmettre les pièces nécessaires du dossier à l'autorité requise.
Afin de garantir l'efficacité des procédures transfrontalières, la proposition fixe un délai pour prendre la décision d'accepter ou non le transfert.
Les autorités requérantes et requises peuvent demander l'assistance d'Eurojust ou du Réseau judiciaire européen à tout stade de la procédure.
Une reconnaissance des preuves
Dans l'État requérant, la procédure pénale transférée doit être suspendue ou abandonnée dès réception d'informations confirmant que l'autorité requise prend en charge cette procédure pénale.
L'autorité requérante ne peut poursuivre ou rouvrir la procédure pénale que si l'autorité requise prend une décision d'y mettre fin.
La législation de l'État requis s'applique une fois que le suspect est transféré. Tout acte, mesure d'enquête ou preuve recueillis dans l'État requérant devraient avoir la même valeur dans l'État requis que s'ils avaient été valablement accomplis par ses autorités.
La fixation des peines (en principe) par l’Etat requis
Lorsqu'une procédure pénale a été transférée, l'État requis applique son droit pour déterminer la peine pour l'infraction pénale en question.
Il y a une limite : si l'infraction pénale a été commise sur le territoire de l'Etat requérant, les autorités requises peuvent prendre en considération la peine maximale prévue par la loi de l'Etat requérant,
Le but de cette disposition est d'éviter les situations où le transfert des poursuites pénales conduirait l'Etat requis à appliquer une peine plus élevée que la peine maximale prévue pour la même infraction dans l'Etat requérant.
synthèse du texte par Pierre Berthelet alias securiteinterieure.fr
Lire sur securiteinterieure.fr :
- Fraude et détournement d'argent public: le Parquet européen démarre ses activités en France et déjà près de 50 millions d'euros sont dans le viseur
- L'agence
européenne Eurojust fête ses 20 ans: une assistance opérationnelle sur
mesure apportée dans pas moins de 10.000 dossiers judiciaires
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
remarques et suggestions à formuler à securiteinterieure [à] securiteinterieure.fr
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.