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lundi 27 janvier 2020

La délégation parlementaire au renseignement rejette l’idée d’une CIA européenne et s’inquiète du Brexit


Irréalisable. C’est la position de la délégation parlementaire pour le renseignement (DPR) commune au Sénat et à l'Assemblée nationale, dans un rapport faisant la part belle à « l'avenir de l'Europe du renseignement ».  Pour autant, cette ddélégation promeut une communauté européenne du renseignement respectueuse du principe de subsidiarité.

A lire sur securiteinterieure.fr :

Quant au Brexit, la DPR considère que la lutte antiterroriste va pâtir de la sortie du Royaume-Uni de l'UE.
L'accord de retrait étant été validé par le Parlement britannique, les négociations sont entamées concernant les accords devant régir les relations UE-RU à l’issue de la période transitoire. L’absence d’accord conduirait à un Brexit dur.
Ceci étant, et d’après la délégation, même en cas de de Brexit soft (en cas d’accord), le futur statut d'État tiers emportera se traduira par un recul significatif.

Une CIA européenne ; un mirage pour la DPR

Faut-il créer une « CIA européenne » ? Cette question revient régulièrement dans le débat.
À chaque attentat commis sur le sol européen, le sujet est remis sur la place publique.
Si à première vue, l'idée pourrait paraître séduisante de doter l'Union européenne d'une capacité autonome de renseignement, force est de constater qu'elle révèle surtout une méconnaissance tant du fonctionnement même des services de renseignement nationaux que de celui de l'Union européenne.

Le facteur principal qui entrave l'émergence d'un authentique renseignement européen institutionnalisé est lié à une réalité politique simple : l'absence de confiance, voire la méfiance et parfois même la défiance entre les États sur des sujets qui touchent à des intérêts nationaux stratégiques.

Si le partage est la règle s'agissant des activités de contre-terrorisme, tout ce qui a trait à la contre-prolifération et au contre-espionnage demeure très largement du ressort national.
L'échange de renseignements entre services doit se faire en cohérence avec les grandes lignes de la diplomatie nationale, tout en prenant en compte les exigences pratiques de la coopération bilatérale ou multilatérale.

C'est pourquoi les services de renseignement donneront toujours la priorité aux échanges bilatéraux de nature opérationnelle, car ce sont ceux qui garantissent la meilleure protection des sources humaines et techniques.

La La direction générale de la Sécurité intérieure (DGSI) du Ministère de l'intérieur :
  • assure que si les échanges d'informations entre les services de renseignement fonctionnent très bien, c'est justement parce qu'ils s'effectuent en dehors du cadre institutionnel des structures européennes;
  • considère même que c'est l'excellence de la coopération entre services qui avait rendu inutile, dès la rédaction du Traité sur l'Union européenne, l'attribution à l'Union d'une compétence en matière de sécurité nationale et, par voie de conséquence, de renseignement de sécurité intérieure.

Le second sujet que soulève la question d'un renseignement européen intégré concerne l'articulation entre les souverainetés nationales et l'émergence d'une possible souveraineté européenne.
Dans son discours de La Sorbonne du 26 septembre 2017, le Président de la République a livré sa vision d'une Europe souveraine, capable de décider elle-même de son destin.

Cette souveraineté européenne que le Chef de l'État appelle de ses vieux ne doit pas se comprendre comme la négation des souverainetés nationales mais comme leur prolongement dans une société mondialisée et interdépendante.
C'est à l'aune de cette réalité que les Européens doivent inventer cette « conjugaison positive » des souverainetés au service de notre sécurité collective.

Une « communauté européenne du renseignement »

La question d'une intégration européenne renforcée des services de renseignement renvoie à une réflexion sur la juste application du principe de subsidiarité.
Appliquée à la coopération entre services de renseignement, deux approches de la subsidiarité sont envisageables :
  • celle d'une intégration verticale (« top-down »)
  • alors d'une intégration verticale (« bottom-up ») qui supposerait l'existence d'un leadership, assuré soit par un État membre, soit par l'Union directement, ce que les traités, dans leur rédaction actuelle, ne permettent pas.

Mais au-delà de l'obstacle juridique - même si l'article 73 du Traité sur le fonctionnement de l'UE n'interdit pas aux États membres de créer entre eux des formes de coopération - la dynamique du renseignement européen repose avant tout sur la connaissance du terrain ainsi que sur le partage des méthodes opérationnelles et des techniques collectives de travail.

La création d'une superstructure européenne, plus ou moins calquée sur le modèle de la CIA, reviendrait à méconnaître la réalité de l'Union européenne qui, à la différence des États-Unis d'Amérique, n'est pas un État fédéral.
Mais surtout, proposer une CIA européenne ajouterait de la technocratie et de la rigidité à un système qu'il s'agit au contraire de simplifier.
Dans ces conditions, la juste application du principe de subsidiarité plaide donc pour le choix de l'horizontalité, selon une logique de mise en réseau d'une « communauté européenne du renseignement » plutôt que d'un « service européen de renseignement ».

La mise en réseau des communautés des contrôleurs

La recherche du juste équilibre entre les mesures nécessaires à la sécurité publique d'un côté, et le respect des droits et libertés fondamentales de l'autre, est une préoccupation constante des sociétés démocratiques.
Depuis les attaques terroristes de 2015, de nombreux États membres de l'Union ont fait évoluer leur législation. Néanmoins, les législations des 28 États membres en matière de renseignement demeurent à la fois extrêmement différentes et complexes.

Dans ce contexte, les organes de contrôle organisent leur coopération, à l'instar des services de renseignement.
À titre d'exemple, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) a pris l'initiative avec son homologue Belge (le « Comité R ») de réunir à Paris, le 7 décembre 2018, les organismes nationaux de contrôle de la légalité des activités de renseignement en Europe. Quatorze délégations étaient présentes.

La conférence a réuni des représentants d'organes de contrôle administratifs ou judiciaires aux missions et aux compétences comparables.
Le but de cette première rencontre était :
  • de favoriser la connaissance mutuelle des législations nationales en matière de contrôle du renseignement
  • de partager les pratiques de mise en œuvre.
Qu'il s'agisse ainsi des autorités juridictionnelles, des autorités administratives indépendantes ou des Parlements nationaux à travers leurs commissions chargées du contrôle des services de renseignement, c'est ainsi la communauté des contrôleurs qui se structure progressivement.
Cela participe d'une culture commune qui se développe à l'échelle européenne et qui vient donner du crédit à l'émergence progressive d'une communauté européenne du renseignement.

Dans ce cadre, les Parlements nationaux et le Parlement européen doivent prendre toute leur place au sein de la communauté des contrôleurs.
La délégation parlementaire au renseignement appelle à réunir, sur une périodicité bisannuelle, une conférence interparlementaire composée des organes de contrôle parlementaire des services de renseignement des Parlements nationaux et du Parlement européen, autour du partage d'informations et de l'échange de bonnes pratiques.

L'intérêt national, principal aiguillon de l'engagement européen du Royaume-Uni

Le niveau de participation du Royaume-Uni à l'espace européen de liberté, de sécurité et de justice est une illustration de l'approche britannique restrictive de la construction européenne, envisagée comme résiduelle, ou du moins subsidiaire, au regard de l'exercice de la souveraineté nationale.

Aussi, c'est pour ne pas empêcher les pays qui souhaitaient aller de l'avant pour progresser sur le chemin de l'intégration européenne dans les domaines de la coopération policière et judiciaire, que le scénario d'une Europe « à la carte » avait été imaginé avec des systèmes d'opt in et d'opt out, certes juridiquement très encadrés, mais permettant de choisir ses politiques.

Les opt-out portent sur la non-participation à l'espace Schengen, à l'Union économique et monétaire et à l'espace européen de liberté, de sécurité et de justice.
En ce qui concerne plus spécifiquement l'espace de liberté, il est constitué d'un corpus de 133 mesures parmi lesquelles seules 35 ont été adoptées par le Royaume-Uni dans le cadre d'un « opt back in » activé en 2014.

Parmi ces 35 mesures, figurent notamment Europol, Eurojust, les équipes communes d'enquête, le mandat d'arrêt européen, la reconnaissance mutuelle des décisions de confiscation et des peines d'emprisonnement, les échanges d'informations issues du casier judiciaire ; le Royaume-Uni a également obtenu un régime dérogatoire lui permettant d'avoir accès au système d'information Schengen (SIS) sans être membre de l'espace Schengen.

Guidé par son intérêt national, le Royaume-Uni prend finalement une part active à la coopération européenne et fut même l'un des principaux promoteurs de la directive PNR.
Comme cela est mentionné dans le Livre blanc du Gouvernement britannique de février 2017 sur la sortie du pays de l'Union européenne, le Royaume-Uni participe aux 13 projets opérationnels prioritaires d'Europol et gère près de la moitié des projets d'Europol contre les formes graves de criminalité organisée.

Le Royaume-Uni est :
  • le quatrième plus important utilisateur du Système européen d'information sur les casiers judiciaires (ECRIS).
  • le deuxième contributeur, mais aussi le deuxième Etat qui consulte le plus le système d'information Schengen II (539 000 consultations pour la seule année 2017).
Il est enfin à souligner que la perspective du Brexit n'altère pas la volonté britannique d'approfondir cette coopération puisque le Gouvernement britannique a, postérieurement au référendum du juin 2016, signifié son souhait d'intégrer le mécanisme de coopération transfrontalière en matière de police érigée par les « accords de Prüm » de 2008.

Depuis 2015, le Royaume-Uni est l'un des pays d'Europe le plus touché par le terrorisme, et le Gouvernement britannique a pris la mesure de l'enjeu d'une coopération plus étroite dans le domaine de la sécurité européenne, sans pour autant que celle-ci s'opère forcément dans le cadre de l'Union européenne.

C'est le fait que la coopération avec le Royaume-Uni soit incontournable qui a d'ailleurs déjà pu conduire les Etats de l'Union à accepter des compromis significatifs dans la mise en oeuvre des outils, par pragmatisme et dans un souci d'efficacité.
Ceci explique que le Royaume-Uni bénéficie d'un statut particulier au sein de l'Union, au regard de sa participation à l'espace Schengen ou de la coopération en matière judiciaire.

Au niveau multilatéral, le dispositif européen est d'autant plus performant qu'il est utilisé par le Royaume-Uni. Depuis 2010, le Royaume-Uni a ainsi extradé 6 514 suspects et a obtenu en retour l'extradition de 800 suspects provenant d'autres pays européens.
S'agissant plus particulièrement de la coopération franco-britannique, au cours de l'année 2017, 25 personnes ont été remises par les autorités britanniques à la France, contre 8 personnes remises par les autorités françaises.

Une future coopération sur base conventionnelle dont les contours restent à définir


Le projet d'accord de sortie de l'Union et la déclaration politique qui l'accompagne traduisent cette volonté de maintien d'une coopération étroite.
L'article 117 de la Déclaration politique énonce ainsi que « les parties devraient coopérer dans les domaines de la lutte contre le terrorisme, de l'extrémisme violent et des menaces émergentes afin de faire progresser leur sécurité commune et leurs intérêts communs ».

L'accord de sortie prévoit ainsi la poursuite de la participation du Royaume-Uni à Eurojust et Europol, au mandat d'arrêt européen et conserve son droit d'accès aux différentes bases de données, dont le système d'information Schengen.
Le futur statut d'État tiers emportera des conséquences importantes s'agissant des modalités de la participation britannique aux outils et aux instances de l'espace européen de liberté, de sécurité et de justice.

La participation aux agences de l'Union - en l'espèce Europol et Eurojust - restera possible même si le statut d'État tiers ne permettra plus au Royaume-Uni de participer aux organes de gouvernance de ces agences.
Concernant plus précisément d'Europol, deux types d'accords existent déjà avec des pays tiers :
  • des accords dits « stratégiques » (notamment avec la Russie, la Turquie et l'Ukraine) mais qui excluent tout échange de données personnelles,
  • des accords dit « opérationnels » (c'est le cas notamment avec les États-Unis, le Canada, la Suisse et la Norvège) qui autorisent l'échange de données personnelles mais ne permettent pas aux États tiers d'accéder à la base de données d'Europol. 

L'intérêt pour le Royaume-Uni serait néanmoins de conclure un accord le plus large possible pour pouvoir continuer à accéder à la base de données d'Europol.
Au titre de la coopération policière, le Traité de Prüm, qui facilite la coopération transfrontalière et qui fut initialement élaboré en dehors du cadre communautaire, devrait également pouvoir continuer à s'appliquer au Royaume-Uni sous la forme d'un accord bilatéral.
Dans le domaine de la coopération judiciaire, la participation à Eurojust pourra également se poursuivre sur une base conventionnelle.

Une future collaboration malgré tout au rabais


En revanche, la situation est plus problématique sur deux sujets : l'accès au système d'information Schengen (SIS II) et la participation du Royaume-Uni au mandat d'arrêt européen.
S'agissant de l'accès au SIS II, ce n'est pas la qualité d'État tiers qui est en soi un obstacle, mais le fait que le Royaume-Uni ne soit pas partie de l'espace Schengen. En perdant sa qualité d'État membre de l'Union européenne, le Royaume-Uni verra son accès au SIS II interdit.

La fin de l'accès au SIS II aura par ailleurs des conséquences sur la mise en oeuvre du Passenger Name record (PNR) puisque ce dernier, relié au SIS II, permet d'alerter sur les déplacements de passagers faisant l'objet de signalement.
Par ailleurs, le projet multilatéral de PNR ferroviaire, devant couvrir les frontières entre la Belgique, les Pays-Bas, la France et le Royaume-Uni, pourrait également être remis en cause par la fin de l'accès britannique à certains fichiers européens (PNR, ETIAS, EURODAC...).
En ce qui concerne enfin le mandat d'arrêt européen, celui-ci reposant sur le principe de reconnaissance mutuelle entre États membres, il ne peut de facto être ouvert aux États tiers.
Les pays de l'Union européenne devront modifier leur Constitution s'ils veulent, après le Brexit, continuer à pouvoir extrader leurs ressortissants vers le Royaume-Uni.

Le Brexit, avec ou sans accord, se traduira donc en cette matière par un recul significatif.
Certes, il existera toujours la possibilité de conclure un accord de coopération dédié à la remise des personnes recherchées, à l'instar de ce que la Norvège a signé avec l'Union européenne.
Mais de tels accords, qui s'apparentent davantage à des procédures d'extradition simplifiée, sont sans commune mesure avec l'efficacité du mandat d'arrêt européen.

D'une façon plus générale, le droit international - Interpol, la Convention de Palerme en matière de criminalité organisée, les conventions du Conseil de l'Europe, etc.) pourrait voler au secours de la coopération policière et judiciaire.
Pour autant, ces alternatives de collaboration n'offrent que des substitutions de coopérations réduites, comparées aux dispositifs bien plus performants déployés au sein de l'Union européenne.


synthèse du texte par Pierre Berthelet alias securiteinterieure.fr 


 Sur le Brexit, voir :

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