D’après un rapport rendu par la Commission européenne, le dispositif de collaboration entre les cellules de renseignement financier (CRF), ainsi qu’entre elles et leur écosystème pourrait être renforcé.
Il identifie une série d’obstacles à cette collaboration qui sont autant d’entraves à la lutte contre le blanchiment d’argent.
Parmi les écueils relevés figure un déficit sur le plan de la technologie, que l’intelligence artificielle pourrait palier.
De quoi parle-t-on et d’où vient-on ?
Le rapport recense certains problèmes qui pourraient découler de l’incapacité des États membres à transposer intégralement ou correctement la quatrième directive anti-blanchiment. Cette directive aurait dû être transposée en droit national au plus tard le 26 juin 2017.
La 5e directive anti-blanchiment impose quant à elle à la Commission :
- d’évaluer
- le cadre pour la coopération des cellules de renseignement financier avec les pays tiers
- les obstacles et les possibilités de renforcer la coopération entre les cellules de renseignement financier au sein de l’Union,
- de créer un mécanisme de coordination et de soutien aux CRF.
- inclure les compétences nécessaires pour adopter des normes, modèles et lignes directrices juridiquement contraignants dans les domaines d’action des CRF
- englober certains aspects de la déclaration centralisée et un renforcement plus centralisé des capacités reposant sur de nouveaux outils informatiques (fondés sur l’intelligence artificielle et les technologies d’apprentissage machine) dans le but d’améliorer et de faciliter les analyses conjointes.
Qu’est-ce que les CRF ?
Les CRF sont des unités indépendantes et autonomes sur le plan opérationnel. Elles ont été créées au titre du cadre de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme de l’Union.
Leur fonctionnement et leurs missions sont principalement régis par la directive anti-blanchiment.
Au niveau international, le groupe d’action financière (GAFI) et le groupe Egmont des cellules de renseignement financier (groupe Egmont) élaborent des normes régissant les activités des CRF.
Les CRF ont pour principales tâches :
- de recevoir et d’analyser les déclarations de transactions suspectes concernant :
- le blanchiment de capitaux,
- les infractions sous-jacentes associées ou le financement du terrorisme.
- de diffuser les résultats de leur analyse aux autorités nationales compétentes et aux autres CRF.
Et que dit le droit de l’UE ?
La directive anti-blanchiment va au-delà de ces normes internationales. Elle prévoit :
- des obligations plus spécifiques;
- une coopération plus étroite au sein de l’UE, compte tenu de la libre circulation des capitaux et de la libre prestation de services financiers qu’implique l’espace financier intégré de l’Union.
- les travaux de la plate-forme des CRF de l’UE;
- la création du FIU.net, un système d’information reliant des bases de données décentralisées permettant aux CRF d’échanger des informations.
La directive anti-blanchiment impose aussi aux États membres de veiller à ce que les entités assujetties coopèrent avec les CRF nationales en les informant promptement de transactions ou d’activités suspectes, y compris en déposant une déclaration de transactions suspectes.
De nombreuses CRF reçoivent aujourd’hui les rapports des entités assujetties par l’intermédiaire de systèmes nationaux de déclaration électroniques spécialisé.
Le règlement relatif aux contrôles de l’argent liquide impose quant à lui aux administrations douanières) de communiquer aux CRF nationales toutes les déclarations d’argent liquide et les infractions à l’obligation de déclaration d’argent liquide d’une valeur égale ou supérieure à 10 000 euros entrant dans l’Union ou sortant de l’Union.
Le règlement (UE) 2018/1672, qui abrogera le règlement (CE) nº 1889/2005 en juin 2021, exige que les informations soient transmises au moyen du même système informatique, le système d’information douanier, dans un délai de 15 jours ouvrables.
Comment marche la coopération entre les CFR ?
Conformément à la directive anti-blanchiment, les CRF ont l’obligation de:
- transmettre «sans délai» les rapports qui concernent «un autre État membre à la CRF de l’État membre»;
- diffuser spontanément, des informations ou des analyses pour un autre État membre,
- répondre aux demandes d’informations d’une autre CRF. Le nouveau règlement relatif aux contrôles de l’argent liquide prévoit également cette obligation.
En outre la directive anti-blanchiment impose aux CRF de coopérer dans le cadre de l’application de technologies de pointe leur permettant de comparer leurs données à celles d’autres CRF de façon anonyme.
Il s’agit de détecter, dans d’autres États membres, des personnes qui intéressent et d’identifier leurs produits et leurs fonds.
Cette disposition est censée être respectée sur le plan technique grâce à une meilleure exploitation de la technologie dite «Ma3tch», qui a été développée et ajoutée comme fonctionnalité du FIU.net en avril 2014
Cette fonctionnalité de recoupement permet aux CRF de trouver des liens pertinents vers des informations détenues par d’autres CRF de façon automatisée.
Un droit européen à développer
D’après le rapport, cette plate-forme des CRF de l’UE a joué un rôle de premier plan dans la mise en évidence des problèmes identifiés dans le rapport.
Elle a déployé de nombreux efforts au cours des dernières années pour résoudre la plupart des problèmes recensés, d’une manière significative sur le plan opérationnel.
Elle se heurte toutefois à des limites juridiques dans la production de modèles, de lignes directrices et de normes juridiquement contraignants.
Certains aspects de la coopération entre les CRF des États membres en matière d’échange d’informations sont régis par la directive (UE) 2019/1153 sur l’accès aux informations financières et d’une autre nature, adoptée le 20 juin 2019. Toutefois,
- la directive ne contient pas de règles relatives à des délais précis et à des canaux informatiques pour l’échange d’informations entre les CRF d’États membres différents.
- le champ d’application du texte est limité aux cas de terrorisme et de criminalité organisée associés au terrorisme.
- l’absence de réglementation des échanges d’informations entre les CRF des États membres et les CRF de pays tiers donné lieu à une approche non harmonisée de ces échanges. En outre, des questions se posent quant à leur conformité avec le cadre de l’Union relatif à la protection des données.
Et où va-t-on ?
Afin de remédier aux lacunes constatées, la Commission continuera à :
- étudier d’éventuelles mesures supplémentaires
- à évaluer des options différentes ou complémentaires du système existant.
1ère difficulté : des informations non transmises à certaines administrations fiscales
Les CRF doivent également coopérer et échanger des informations avec d’autres autorités publiques, notamment les services répressifs, les autorités douanières et fiscales, l’Office de lutte antifraude et les bureaux de recouvrement des avoirs.
Certaines questions relatives à cette coopération ont été soulevées dans certains cas; par exemple, les déclarations d’opérations suspectes ne sont pas diffusées à toutes les administrations fiscales de l’UE. La plupart d’entre elles ne sont pas considérées comme des autorités compétentes par les CRF, ce qui engendre des difficultés pour combattre efficacement les délits fiscaux.
En ce qui concerne la coopération avec l’Office européen de lutte antifraude (OLAF), la Commission a proposé que celui-ci soit en mesure d’obtenir les informations bancaires pertinentes pour son activité d’enquête par l’intermédiaire des cellules de renseignement financier dans les États membres.
2e difficulté : des liens à resserrer avec le secteur privé
Le cadre de l’Union européenne – et international – en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux repose sur la déclaration de transactions suspectes par le secteur privé, leur analyse par les cellules de renseignement financier (CRF) et la coopération entre elles et les autorités nationales.
Or, il ressort que la déclaration par le secteur privé est entravée par :
- l’absence de modèle commun pour la déclaration des transactions suspectes ;
- le caractère facultatif du dépôt électronique de ces déclarations.
Le but est de renforcer la capacité du secteur privé à identifier correctement les soupçons et à produire les rapports de qualité. Pour faire face aux menaces communes à tous les États membres, les CRF doivent définir une approche commune.
Cette mesure renforcerait le travail des CRF en matière de transparence des informations sur les bénéficiaires effectifs et de transparence générale, d’évaluation des risques, de coopération avec les services répressifs et de relations avec les grands groupes financiers internationaux.
3e difficulté : des outils informatiques insuffisamment robustes
Il arrive parfois que les CRF ne disposent pas des outils informatiques adéquats pour importer et exporter efficacement les informations vers et depuis FIU.net.
En outre, elles disposent d’un accès inégal aux bases de données nationales, ce qui les empêche d’effectuer l’analyse de la manière la plus exhaustive et la plus utile possible.
Cela dit, un certain nombre de CRF ont commencé à mettre au point des outils informatiques qui améliorent l’efficacité de leur analyse nationale et permettent une analyse conjointe des cas transfrontières.
Des outils communs fondés sur l’intelligence artificielle (par exemple pour l’analyse conjointe ou l’identification des tendances) et l’apprentissage machine (par exemple pour le retour d’information au secteur privé et l’élaboration de typologies) pourraient être développés au niveau central et mis à la disposition des CRF des États membres dans le cadre d’un mécanisme de coopération et de soutien.
Il existe un principe territorial : les entités assujetties sont tenues de rendre compte à la CRF du pays dans lequel elles sont établies.
Ce principe impose aux CRF de coopérer entre elles de la manière la plus large possible.
Toutefois, la plupart des CRF n’ont pas partagé les déclarations et les informations aussi souvent qu’elles l’auraient dû, et certaines pas du tout. Les problèmes techniques récurrents liés au fonctionnement du FIU.net semblent avoir joué un rôle déterminant dans ces difficultés.
Enfin, les CRF n’ont pas exploité pleinement le potentiel de l’outil «Ma3tch»,.
Certaines améliorations ont toutefois été opérées au cours des deux dernières années, en partie grâce à l’intervention active d’Europol qui a encouragé les CRF à exploiter les avantages de cette nouvelle technologie.
En décembre 2017, 18 CRF utilisaient cette fonctionnalité, contre 15 en février 2017.
De même, à la fin de 2016, les CRF avaient mis en place un total de 90 filtres, dont le nombre est passé à 126 en avril 2018.
4e difficulté : lenteur et lourdeur des mécanismes existants
Le FIU.net est le système informatique dédié qui fournit un canal de communication sécurisé entre les CRF des États membres. Récemment, le système a toutefois connu des difficultés techniques récurrentes en raison d’une mise à niveau nécessaire.
Le partage des informations par les CRF en devient alors plus lourd. Dans le même temps, Europol s’emploie à assurer la maintenance du FIU.net et a élaboré une proposition relative à un nouveau système qui succédera au FIU.net.
Ces travaux sont suspendus en attendant l’examen des questions soulevées par les CRF, notamment en ce qui concerne le respect de la protection des données.
Ces questions doivent être abordées de toute urgence afin de permettre la poursuite du redéploiement.
Lorsque les CRF échangent des informations sur la base de demandes qui leur sont adressées, le délai de réponse varie considérablement.
Même s’il est soit conforme aux normes internationales, il ne satisfait pas aux normes de l’UE en matière d’échange d’informations.
5e difficulté : des obstacles existant à l’échelle nationale
La diffusion d’informations pertinentes aux autorités de surveillance prudentielle et de surveillance du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme semble également peu optimale, en raison d’obstacles à la coopération existant dans les législations nationales de certains États membres et de pratiques opérationnelles qui sont axées sur la coopération avec les autorités répressives.
D’après le rapport, les récentes modifications apportées à la directive sur les exigences de fonds propres contribueront à résoudre ce dernier problème.
Les différences de statut, de pouvoirs et d’organisation des CRF des États membres continuent de nuire à leur capacité à accéder aux informations financières, administratives et répressives pertinentes et à les partager (en particulier celles détenues par les entités assujetties et/ou les autorités répressives).
Cette vulnérabilité, déjà recensée dans un rapport de la Commission sur l’évaluation des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme pesant sur le marché intérieur, demeure.
synthèse du texte par Pierre Berthelet alias securiteinterieure.fr
A lire aussi les rapports présentés concommittament :
- le rapport sur sur l’interconnexion des mécanismes automatisés centralisés nationaux sur les comptes bancaires
- le rapport sur le cadre pour la coopération entre les cellules de renseignement financier
- le rapport sut la mise en œuvre du programme dit TFTP
- le rapport sur l’évaluation des récents cas présumés de blanchiment de capitaux impliquant des établissements de crédit
- le rapport sur la corruption dans le domaine du secteur privé
A lire aussi la synthèse des documents correspondants :
- Blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme : les espèces, les antiquités, les jeux d’argent et le foot en ligne de mire
- Accord dit TFTP : la collaboration UE-USA permet de traquer efficacement les réseaux terroristes
- Un rapport regrette le très faible nombre de condamnations en Europe pour corruption dans le secteur privé
A lire par ailleurs :
A lire également sur securiteinterieure.fr :
- D’après l’Assemblée nationale, il faut aujourd’hui moins de 1000 euros pour commettre un attentat en France ou en Europe
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- Le cadre anti-blanchiment existant fonctionne relativement bien
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