A l’heure où, menacé par une "deuxième pandémie", l'espace européen sans frontières est en passe de subir un recloisonnement généralisé - qui s’apparente à la répétition de la situation vécue il y a un an -, un rapport a été présenté pour revoir le dispositif de surveillance mutuelle tel que refondu à la suite du Printemps arabe.
Il faut bien dissocier. La dernière réunion du Conseil européen, - le 21 janvier dernier - portait sur des mesures conjoncturelles, à savoir la coordination des éventuelles mesures temporaires de rétablissement de contrôles aux frontières face à l’urgence sanitaire.
Le rapport est quant à qui lui de nature structurelle. Il vise à revoir le mécanisme d’évaluation mutuelle entre Etats membres.
Ce rapport pointe le défaut du dispositif inhérent au caractère intergouvernemental du système hérité des accords internationaux mis en place il y a trois décennies : le principe de « pression entre Etats membres », - cœur du dispositif de l'évaluation mutuelle - ne marche pas. Le rapport préconise dès lors une série de mesures pour moderniser ce mécanisme d'évaluation et de contrôle.
A lire l'article écrit par l'auteur de securiteinterieure.fr :
De quoi parle-t-on et où va-t-on ?
Comme les ministres de l’intérieur de l’UE l’ont souligné dans leur déclaration commune du 13 novembre 2020, le bon fonctionnement de l’espace Schengen nécessite une gestion moderne et efficace de ses frontières extérieures, ainsi que des mesures compensatoires solides pour garantir un niveau élevé de sécurité.
Ce rapport énonce les mesures opérationnelles envisageables pour remédier aux lacunes recensées.
Il souligne la nécessité d’évaluer de la même manière les modifications législatives qui sont nécessaires pour rendre le mécanisme d’évaluation pleinement adapté à sa finalité.
Des discussions ont eu lieu au sein du forum Schengen, le 30 novembre 2020, visaient à enrichir la stratégie Schengen que la Commission a l’intention d’adopter en 2021.
Dans le cadre de cette stratégie, la Commission réexaminera également le mécanisme actuel d’évaluation et de contrôle de Schengen.
D’où vient-on ?
En 2015, dans le cadre du nouveau «mécanisme d’évaluation et de contrôle de Schengen», la responsabilité de la coordination et de l’organisation générale de l’exercice a été transférée à la Commission.
Le mécanisme demeure toutefois une responsabilité partagée, la Commission effectuant les évaluations conjointement avec des experts des États membres.
Ce contrôle par les pairs est essentiel aux évaluations de Schengen, car il renforce la responsabilisation, l’appropriation des résultats et la confiance. Le Conseil est chargé de formuler des recommandations à l’intention des États évalués, sur la base d’une proposition de la Commission, sur la manière de remédier à tout manquement constaté lors des évaluations.
Le rapport précise que depuis 2015, l’espace Schengen subit constamment des pressions.
Selon la Commission, aujourd’hui l’UE fait face à une réalité différente de celle qui prévalait à l’époque de la création de cet espace. L’instabilité au sein du voisinage de l’Europe et au-delà, les conséquences des circonstances particulièrement exceptionnelles de la crise des réfugiés de 2015, la crise de la COVID 19 et la menace terroriste nécessitent une réflexion et un suivi.
Tous les États concernés ont été évalués au titre du nouveau mécanisme, suivant le premier programme d’évaluation pluriannuel. Conformément aux obligations en matière de rapport prévues par le règlement SCH-EVAL
Comment fonctionne le processus d’évaluation de Schengen ?
L’acquis de Schengen comporte un vaste ensemble de règles ainsi que des mesures compensatoires visant à contrebalancer l’absence de contrôles aux frontières intérieures.
Le mécanisme d’évaluation :
- contrôle la mise en œuvre de l’acquis de Schengen par les pays qui l’appliquent partiellement ou pleinement,
- la capacité des pays dans lesquels les contrôles aux frontières intérieures n’ont pas encore été supprimés à appliquer pleinement l’acquis de Schengen,
- la mise en œuvre des mesures dans les domaines des frontières extérieures, du retour, de la politique en matière de visas, de la coopération policière, du système d’information Schengen (SIS), de la protection des données et de l’absence de contrôle aux frontières intérieures.
Comment fonctionne le processus d’évaluation de Schengen
La Commission effectue des évaluations sur un cycle de cinq ans, suivant des programmes pluriannuels et annuels, en collaboration avec des experts des États membres et avec des agences de l’Union qui participent en qualité d’observateurs.
Chaque pays fait l’objet d’une évaluation au moins une fois tous les cinq ans. Au besoin, des évaluations ponctuelles supplémentaires sous la forme d’évaluations inopinées ou de nouvelles inspections peuvent être organisées.
Les évaluations thématiques constituent un instrument supplémentaire pour évaluer la mise en œuvre de parties spécifiques de l’acquis de Schengen dans plusieurs pays en même temps.
Le processus d’évaluation quinquennal s'opère par étape :
- Les rapports d’évaluation sont présentés au comité Schengen (au sein duquel tous les États membres sont représentés).
- Ils sont adoptés par la Commission sous réserve de l’avis favorable de ce comité.
- Sur proposition de la Commission, le Conseil adopte les recommandations visant à remédier à tout manquement constaté dans les rapports d’évaluation, ce qui clôt la première phase de l’évaluation.
- En guise de suivi, le pays concerné doit soumettre un plan d’action énumérant les mesures correctives à prendre pour mettre en œuvre les recommandations du Conseil.
- La Commission apprécie les plans d’action en coopération avec les experts concernés chargés de l’évaluation.
- Le pays évalué est tenu de rendre compte des progrès accomplis tous les trois mois.
- Lorsque toutes les mesures correctives ont été prises, la Commission clôt la deuxième phase et, ce faisant, l’évaluation.
Comment fonctionne le processus en cas de manquements graves ?
Si le rapport d’évaluation conclut à l’existence de manquements graves :
- la Commission doit en informer le Conseil immédiatement et des délais plus courts s’appliquent au suivi.
- les pays évalués sont tenus de soumettre leur plan d’action dans un délai d’un mois à compter de la recommandation du Conseil.
- la Commission peut envisager de procéder à une nouvelle inspection pour vérifier la mise en œuvre des mesures prises en vue de remédier aux manquements constatés.
- Si la situation perdure, elle peut déclencher l’application d’une procédure qui peut, en définitive, déboucher sur une recommandation de réintroduction de contrôles aux frontières intérieures.
Comment s’est passé la mise en œuvre du 1er programme d’évaluation pluriannuel ?
Entre 2015 et 2019, plus de 200 visites d’évaluation ont eu lieu au sein de l’espace Schengen et dans 27 pays tiers (pour vérifier la mise en œuvre de la politique des visas dans es pays).
Au total, 29 inspections inopinées et 8 nouvelles inspections ont été effectuées à l’égard de 15 pays dans tous les principaux domaines d’action. 2 évaluations thématiques ont été réalisées, en 2015 et en 2019/2020 (respectivement sur la coopération locale au titre de Schengen dans le domaine de la politique des visas et sur les stratégies nationales pour la gestion intégrée des frontières).
Sur la base de ces visites d’évaluation, la Commission a adopté 198 rapports d’évaluation. Le Conseil a adressé plus de 4 500 recommandations aux États membres.
Seules 45 évaluations ont toutefois été menées à leur terme. Un certain nombre de rapports d’évaluation et les recommandations correspondantes doivent encore être adoptés en ce qui concerne les évaluations effectuées en 2019.
Les agences de l’Union ont fortement contribué au processus en :
- organisant des formations,
- produisant des analyses des risques qui ont servi à la préparation des programmes annuels pour les évaluations de Schengen
- participant aux évaluations en qualité d’observateurs.
A noter qu’en ce qui concerne la gestion des frontières extérieures, un instrument supplémentaire de contrôle de la qualité a été adopté en 2016 avec la mise en œuvre des évaluations de la vulnérabilité prévues par le règlement relatif au corps européen de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex).
Ces évaluations annuelles de la vulnérabilité effectuées par Frontex complètent le mécanisme d’évaluation et de contrôle de Schengen, en donnant un aperçu de la capacité opérationnelle des pays à gérer les frontières extérieures.
Quel bilan faut-il tirer ?
L’expérience acquise dans le cadre du premier programme d’évaluation pluriannuel (2015-2019) a mis en évidence une série de lacunes qui ont affaibli tout le potentiel du mécanisme.
Tant le Parlement européen, dans son rapport de 2017, que les États membres, dans le cadre de la consultation lancée par la présidence finlandaise du Conseil en 2019, ont souligné la nécessité de revoir certains aspects du mécanisme.
L’une des principales lacunes relevées est la durée excessive de la première phase du processus d’évaluation. Dans 25 % des cas, cette phase a duré plus d’un an et, dans 12 cas, plus de 18 mois.
Elle a été particulièrement longue lorsque l’équipe d’évaluation a relevé des «manquements graves» (constatation qui, en principe, devrait donner lieu à un suivi plus rapide).
Les contributions des États membres en matière d’experts n’ont pas toujours été adaptées aux besoins. Le nombre d’experts disponibles était quelquefois insuffisant pour répondre aux besoins des évaluations en cours.
Et quelles ont été les autres déficiences ?
Les inspections inopinées n’ont pas eu l’efficacité escomptée au départ. La configuration actuelle n’a pas permis une adaptation rapide aux nouveaux défis.
Le suivi et la mise en œuvre des plans d’action ont, dans l’ensemble, été lents et le contrôle n’a généralement pas été complet et cohérent.
Depuis 2015, 201 évaluations ont été effectuées et, malgré les nets progrès accomplis, environ 25 % des plans d’action ont été menés à bien en moyenne au bout de 2,25 ans.
De manière générale, les recommandations ont donc trop mis l’accent sur des détails très spécifiques et multiples plutôt que sur les éléments essentiels de l’acquis de Schengen, sans donner de calendrier précis de mise en œuvre.
En outre, le comité Schengen n’a que peu examiné les constatations faites lors des évaluations et les recommandations correspondantes proposées par la Commission, notamment en raison de la nature trop détaillée et spécifique des évaluations.
Enfin, l’adoption des recommandations par le Conseil n’a pas créé la pression entre pairs qui était escomptée pour garantir un niveau élevé de mise en œuvre de l’acquis de Schengen.
Le système n’a pas permis de susciter, par ailleurs, des débats politiques appropriés sur l’état de Schengen au sein d’autres enceintes compétentes, et la participation du Parlement européen n’a pas non plus été très régulière.
Quelles sont les mesures opérationnelles proposées
Mesures opérationnelles susceptibles d’améliorer le mécanisme d’évaluation et de contrôle de Schengen:
- simplifier les flux de travail internes et définir des critères de référence pour réduire la durée;
- mettre au point de nouvelles formations dans le domaine de la politique des visas et renforcer les formations existantes afin de promouvoir et d’accroître la participation;
- mettre à jour les listes de contrôle dans le but de mettre l’accent sur les principaux éléments susceptibles d’influer sur l’espace Schengen dans son ensemble;
- exploiter de manière plus stratégique les évaluations inopinées et les évaluations thématiques;
- améliorer les synergies et la coopération avec les agences de l’UE et les mécanismes nationaux de contrôle de la qualité;
- simplifier davantage les rapports et recentrer les recommandations;
- élaborer et mettre à jour les catalogues de meilleures pratiques; et
- adopter le rapport annuel afin de faciliter le débat politique.
synthèse du texte par Pierre Berthelet alias securiteinterieure.fr
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