Voici ce que déclarent les membres de la Communauté du renseignement de Frontex - Afrique dans un rapport dit AFIC 2014 (Africa-Frontex Intelligence Community Joint Report). Ce rapport, qui contient bien d'autres choses, est un rapport analytique de Frontex sur le risque aux frontières extérieures de l'UE, issu de la rencontre entre des experts de Frontex, des Officiers de Liaison Immigration (ILO) des Etats membres en poste au Mahgreb et en Afrique sub-saharienne, et des experts issus de ces pays.
exemple de faux passeport figurant de ce rapport AFIC :
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La version finale du rapport a été présentée en marge d'une Conférence internationale organisée par Frontex du 20 au 22 octobre 2014. Tout au long du rapport, le risque est défini selon le Modèle d'analyse de risque de Frontex Modèle Commun d’Analyse de Risque Intégrée - CIRAM), soit en fonction de la menace qu’il représente et de la vulnérabilité et de l’impact qu’il engendre.
Les flux migratoires irréguliers entre l’Afrique et l’Europe
Les trois menaces principales identifiées par l’AFIC concernant les flux migratoires sont la traversée illégale des frontières, la fraude aux documents et la traite des êtres humains.
La zone de la Méditerranée centrale a vu une nette augmentation du nombre de migrants irréguliers détectés et/ou secourus en 2014.
En effet, le nombre d’arrivées, qui a atteint 114 000 au cours des huit premiers mois de l’année, est de six fois supérieur au nombre de migrants irréguliers sur la même période en 2013.
La route la plus empruntée transite par la Libye, qui compte dix fois plus de migrants se rendant vers l’UE que l’Egypte et la Turquie, les deux autres routes migratoires principales vers l’Europe. 2014 pourrait constituer une année record en termes d’arrivée de migrants, ce qui s’explique par plusieurs raisons : la présence de vaisseaux de la marine italienne près des côtes libyennes incite les passeurs à charger les navires de migrants, avec la certitude qu’ils seront secourus, un nombre très important de migrants provenant de Syrie et d’Afrique subsaharienne sont présents sur les côtes libyennes, et les autorités libyennes n’ont pas la capacité d’empêcher le départ de bateaux de migrants.
Les Erythréens sont les plus représentés parmi les migrants, à hauteur de 26%, suivis des Syriens, des Maliens, des Nigérians et des Gambiens.
pays participant à l'AFIC :
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L’AFIC note l’adaptation des réseaux de trafic à l’accroissement des opérations de recherche et de sauvetage menées dans la région. Cela s’est notamment traduit par l’apparition de la pratique de bourrage de bateaux de migrants, bateaux qui sont également moins équipés en carburant, en eau et en nourriture.
En comparaison avec 2013, le nombre de personnes par bateau a été multiplié par trois, voire par dix pour les bateaux en acier. Les facteurs expliquant ce changement sont la volonté des passeurs de maximiser leurs profits, la certitude de la part des passeurs et des migrants qu’ils seront secourus par les bateaux européens et la réduction des coûts du passage étant donné l’accroissement du nombre de migrants.
La région de la Méditerranée occidentale ne présente pas de changement significatif concernant les routes migratoires, les points de pression demeurant Ceuta, Melilla et le Maroc.
Une nouvelle mesure destinée à empêcher les migrants d’escalader la barrière frontalière a été prise entre avril et juin 2014. Les autorités espagnoles ont également renforcé les équipements de surveillance de la frontière. Les nationalités les plus représentées sont les Maliens, les Camerounais et les Guinéens.
classement des migrants clandestins par nationalité et par voies de passage (mer ou terre) :
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Le rapport identifie les principales routes migratoires africaines, en détaillant la situation par pays. Pour le Maroc, il s’agit de la frontière avec l’Algérie et de l’aéroport de Casablanca. Pour le Mali, Kayes et Gao sont les principaux points de sortie des migrants irréguliers, qui tentent de se rendre en Mauritanie pour rejoindre les îles Canaries, ou en Algérie pour rejoindre le Maroc ou la Libye. Au Niger, la ville d’Agadez sert de lieu de transit vers l’Algérie et la Libye (qui est la destination de 80% des migrants).
Selon le Bénin, les vols de la Royal Air Maroc en partance de Cotonou vers l’Europe, via Casablanca, sont un nouveau moyen de passage pour les migrants irréguliers. Le Sénégal note la réutilisation des routes maritimes, après une accalmie de trois ans et l’exploitation des troubles en Casamance par les réseaux de trafic qui en profitent pour faire passer des migrants par bateaux jusqu’aux îles Canaries.
la pression migratoire aux frontières extérieures de l'UE :
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La vulnérabilité des migrants en provenance d’Afrique en direction de l’Europe est considérée comme très élevée, étant donné la dangerosité de leur voyage et les maltraitances dont ils sont victimes. C’est particulièrement le cas en Libye, où il semble que les milices et la police tire profit des migrants. La route la plus meurtrière demeure la traversée maritime.
L’UE tente de réduire les pertes humaines occasionnées par ces traversées, et avait secouru plus de 100 000 personnes entre janvier et août 2014 en Méditerranée centrale. 143 migrants ont trouvé la mort selon les chiffres de Frontex, ce qui constitue une forte augmentation par rapport à la même période en 2013.
niveau de risque par pays :
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Par ailleurs, la fraude aux documents de voyage est considérée par les pays de l’AFIC comme un sujet d’inquiétude majeure. L’abus de documents authentiques semble être le problème principal, notamment en raison des mesures de sécurité de plus en plus poussées. En réponse à cette situation, les autorités des pays de l’AFIC ont tenté de mettre en œuvre des mesures réduisant la vulnérabilité des documents de voyage, comme l’introduction de passeports biométriques et la centralisation des bases de données de contrôle des frontières.
schéma représentant sous forme de cycle le cheminement d'un migrant :
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La traite des êtres humains demeure également un sujet de préoccupation d’importance, particulièrement pour le Nigeria, très touché par ce phénomène.
Les principaux types de trafic identifiés dans les pays de l’AFIC sont la traite des enfants, le trafic d’hommes à but de travail forcé ou d’autres formes d’exploitation, la traite de femmes et de filles à but de mariage forcé, prostitution, exploitation sexuelle et travail forcé et la traite des êtres humains à but de trafic d’organes. Les trafiquants utilisent des méthodes similaires : l’emploi de la violence, de l’intimidation et des menaces, l’utilisation de mensonges, de la servitude pour dette, l’abus émotionne, le contrôle de l’identité des victimes, l’isolation sociale et la fécondation des victimes.
Les risques sécuritaires régionaux
Le Sahel présente des risques sécuritaires élevés en raison de la présence d’activités terroristes, de trafic de substances illégales et des flux non-contrôlés de personnes. La porosité des frontières et l’incapacité des Etats de les gérer accentuent ce problème. Les principales menaces sont le terrorisme, le kidnapping pour obtenir une rançon, la violence sectaire et la prolifération de groupes armés terroristes. En outre, la Libye est en passe de devenir un Etat failli aux mains des milices et des groupes armés. La rébellion touarègue au nord du Mali et les activités de Boko Haram au nord du Nigeria sont également des sources d’inquiétude pour les pays de l’AFIC.
La situation au Mali s’est stabilisée, malgré des périodes de violence intense, notamment en mai 2014 lors des affrontements entre le MNLA et les forces armées maliennes. Un accord de cessez-le-feu a été finalement signé par les parties grâce à l’implication du président mauritanien. Toutefois, le nombre de migrants maliens arrivant en Europe n’a pas décru. En outre, la ville de Kidal, à la frontière avec la Libye, demeure une zone de trafic intense. Face à ces événements, la France a lancé l’opération Barkhane, qui implique le développement de 3000 militaires dans l’ensemble de la bande saharo-sahélienne. Le rapport estime que cette situation va engendrer la réutilisation d’anciennes routes migratoires irrégulières passant par le nord du Mali.
Le Nigeria est affecté par de nombreux problèmes sécuritaires caractérisés par une extrême violence. Le groupe extrémiste Boko Haram déstabilise la région du nord, et attaque des cibles peu protégées comme des églises et des écoles, au moyen d’armes légères et d’engins explosifs improvisés. Le nombre de victimes a considérablement augmenté en 2014, les attaques ayant augmenté en intensité et en fréquence. La porosité des frontières avec le Tchad, le Cameroun et le Niger complique la lutte contre ce groupe. La crainte des pays de l’AFIC est que la menace ne s’étende à d’autres pays de la région. Un plan d’action régional a été décidé par les autorités du Nigeria, du Cameroun, du Tchad, du Niger et du Bénin.
Le rapport mentionne également l’instabilité libyenne, en proie aux milices et à l’absence d’un gouvernement central efficace.
Résumé du rapport fait sous la supervision de
securiteinterieure.fr par des étudiants du Master Sécurité, Intelligence
et Gestion des risques (SIGR) de Sciences Po Lille dans le cadre du cours "Sécurité intérieure et menaces transnationales".
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